Numéro d'édition: 2737
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
s.l.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/468/157
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
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Mercredi
Ha ! Ah! Mon vieux comme on voit que Bruxelles est à cent lieues de Paris & que tu oublies vite « l’allure de ton vieux Paris » ! où les millionnaires & même les tri-millionnaires comme Camille Blanc m’écrivent, à moi : « Envoie moi cent francs par retour du courrier & va me laver la collection de l’Art & de la Mode chez Conquet ! » – Mais tout le monde a toujours besoin d’argent ! Filleau, Clapisson, Silvestre le bon Godebski & on s’en procure ! C’est même ce qui est la gaieté d’ici !! Tu es étourdissant quand tu me dis : J’ai dit à Conquet : « Vous savez je me défais pour des motifs auxquels l’argent n’a rien à voir. (c’est ça qui aura fait sourire Conquet !) D’ailleurs je ne tiens pas tant que ça à la vendre »
– Et en même temps tu lui demandes de l’argent ! Et tu crois que Conquet y fera même attention !! Que tu connais peu ton libraire
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parisien ! – Mais c’est le Contraire qui l’aurait stupéfié ! & mis en suspicion !! Être naïf & brabançon que tu es devenu !
– Quel drôle d’esprit tu as ! tu vois des montagnes de difficultés de la moindre taupinière. Rassure-toi Uzanne est « préparé » (!) Il n’a pas fallu longtemps pour cela. Il y a deux ans que je lui lave ses surplus de volumes envoyés au Livre & cela pour cela quelque fois j’ai une heure, lorsqu’il a un billet de son tailleur.
Voyons as-tu habité Paris oui ou non ? et où vois-tu « des bâtons dans tes roues et dans les miennes » ! Nom de Dieu ! quelle couille molle ! & j’ai le secret de tes hésitations de tes points d’interrogations excusants vis à vis de la vie, & des veuleries – non voulues, & des non sens qui en résultent.
Quand je demande des machines aussi simples que celle-là, tu t’ahuris, tu t’ébroues comme un cheval de fiacre qui entend le canon & tu crois que tu vas casser les vitrines. Quand je les demande ces choses là encore une
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fois à Gouzien homme officiel à Uzanne, à Taelemans à Émile Hermant, ils me répondent sans même chercher à comprendre, quelque fois : Bien, vas-y ! je suis au poste ! – Toi je t’ai demandé & écrit deux fois pour ces choses là la première fois, il s’agissait peut être de la faillite de Léontine, je n’avais pas besoin, ni le temps de te donner de détails, tu m’as répondu une lettre sotte de clerc de notaire de Nivelles où tu me disais « que tu voulais savoir avant d’écrire cette lettre « où tu allais » (!!!) ??! Enfin une stupidité, comme si je te conseillais un vol ou un crime, & comme si le juge d’instruction et les gendarmes en étaient là ! – Si je n’avais eu que des amis aussi hésitants que toi nous étions foutus ! – Et quelle chose terrible & formidable (même en supposant qu’il faille le faire) que d’écrire à Conquet : Cher Monsieur il me tombe une tuile je croyais ne pas avoir besoin de l’argent de ma collection & j’en ai besoin pour le quinze. acceptez
Alors tu serais deshonoré & avec toi la dinastie des Dommartin jusqu’à la cinquième génération mâle !
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Mais Conquet t’aurait pris pour un misérable, hein ? – Et note que je ne te demande pas de ces divins dévouements ! – Et où serait le mal J’en aurai écrit 20 fois comme cela pour toi, moi ! Mais être encore plus naïf de me demander de faire une collection, comme cela « à la douce » en fumant une pipe après le lever à neuf heures & le café au lait comme vous faites tous là bàs dans ce palais de la Bête au Bois dormant qui s’appelle ta Gueule-Belgique, je ne la ferais pas & je n’en aurais pas besoin homme des Champs ! La Collection c’est la légion de réserve & que l’on improvise en bataillon à l’heure du coup de chien. Ta collection ? Mais homme des champs il n’y en avait pas une épreuve de tirée, pas un croquis de fait il y a un jour. Et maintenant elle est ! & cela sera Samedi prête. Nys a tiré deux nuits pleines la presse en gémit comme une brave bête qui vient de faire une rude traite. Moi j’ai dessiné pendant ces deux nuits & j’ai fait de belles choses à travers tout. Il fallait boucher le trou de Roux & un billet rentré. – Et cela sera fait ! À moins que tu ne mettes encore a veauler ! Nom de Dieu
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qui est ce qui me donnera là bàs un Gouzien ou un ami sûr qui ait des nerfs autrement que pour y avoir mal comme un femme qui a son mois.
Enfin je ne te conseilles pas de choses autres que celles que Gouzien & qu’Uzanne ont faites pour moi & nous sommes aussi honnêtes que toi. Si cela t’embêtes, tant pis je me sens souvent embêté pour toi. À charge de revanche. Et je t’assures que tu ne seras pas ridicule vis à vis de Conquet que cette crainte ne te trouble pas ! – Tu n’avais pas besoin de prendre des mitaines & de « réparer mes fautes ». Il n’y avait pas de faute, il n’y avait & il n’y a que ta tête de papier maché qui, je te le dis s’enflamme & te flanques flux de sang aux yeux à la moindre « adventure » ce qui te fais énorme, et – à coté.
À toi.
Fély
La Caisse est partie, rassure-toi il n’y a pas de dynamite la dedans, – Conquet n’aura que
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plus d’estime pour toi, si tu lui demandes de l’argent, mais si tu ne lui as pas écrit ce que je te demandais d’écrire, sans malice sans ébrouements, sans craintes d’enfant, sans pudeurs de bourgeois de la rue haute, tu auras fait rater toi l’affaire, & mis cette fois unvrai bâton dans les roues d’un chariot qui marchait tout naturellement comme il devait marcher.
Enfin tu es conséquent. C’est ta nature. – J’aime mieux la mienne, elle rend sans broncher service à ses amis, & sans « réfléchir » surtout ! lorsque l’occasion est là. – Maintenant le vin est tiré tu le boiras ou nous casserons nos verres.
C’est trop bête.
À toi.
Fély
Quel dommage qu’il soit usé, Mon bon Camuset, qui m’a si gaillardement, rendu le service que je te demandais à Dijon, vis à vis du M° d’estampe Et avec des télégrammes : « J’ai besoin d’argent ! remettez sommes à Rops instantanément ! Je l’ai encore ce télégramme ! Je te le montrerai ! Il est vrai que Dijon n’est pas Bruxelles
Tu mourrais si je te demandais d’écrire cela à Conquet. Et note que Camuset comme toi : Je n’ai pas besoin d’argent, mais je veux vous vendre une collection etc etc – ce que l’on dit toujours ! –
Détails
Support
2 feuillets, 6 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR