Numéro d'édition: 2857
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Monaco, Hôtel de Paris
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/469/44
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
Conflit avec Carlier
Page 1 Recto : 1
Monte Carlo Pté de Monaco.
Hôtel de Paris
Mon Cher Léon,
Nous sommes venus – toute une bande, – dont Cyprien Godebski & Armand, passer ici les dix jours de « festivités » comme dit la Chronique. Dans quatre jours nous serons de retour à Paris, – le Musset n’attend pas !
Ce qui me frappe dès la première lecture dans ta lettre c’est ce mot répété à tout propos « tu as eu tort tort absolument tort dans l’affaire du bateau » sans que tu appuies ton dire ou plutôt tes dires d’un seul argument & d’une seule preuve à l’appui. Ce qui m’amuse le plus dans tout ceci & ce qui rend ton affirmation de ma culpabilité absolument encore plus cocasse, c’est qu’elle m’arrive avec une lettre d’Edmond dans laquelle il avoue : 1° « que ma lettre lui a démontré son erreur & qu’il renonce à tout droits sur le bateau. 2° qu’il m’avait menti en me disant qu’il avait fait saisir le bateau par huissier (!!!!). Que cela n’était pas vrai !! » Et voilà comment tu vois que j’ai parfaitement raison de dire que les absents ont toujours tort. – Car je te mets au défi de me dire sur quoi tu bases ton opinion fantastique
Page 1 Verso : 2
« que j’ai tort » – je te mets au défi de me dire pourquoi ???? Tout ce que j’ai fait je le referais encore. Tu dis que j’ai voulu tromper mes amis & me tromper moi-même, – Je n’ai qu’un mot à te répondre : cela n’est pas vrai. Je n’avais aucun intérêt pécuniaire en cette affaire. Du reste je n’ai plus à revenir sur l’affaire du bateau. J’ai tout expliqué dans des lettres que tu trouves mesquines, & que moi je trouvais nécessaire & de toute nécessité. Et la preuve c’est que je les adressais à nos amis & qu’il n’y a rien à répondre à ces lettres. Du reste si l’affaire avait continué, j’aurais produit 1° toutes les vieilles lettres adressées par Mme Hortense Rops parlant à ma personne avec timbres de la poste & reçus des sommes touchées par moi. 2° Le témoignage de Mme Barra lingère à Sallezinnes qui recevait toutes les lettres que j’adressais à ma cousine, puisque je ne pouvais lui écrire chez elle. Tu sais pourquoi je l’ai suffisamment développé dans la lettre à Edmond, & je n’ai plus à y revenir ; & j’ai été bien bon de donner tous ces développements, j’aurais simplement dû dire : Ce bateau est à moi, je l’ai payé voilà tout. – Seulement je l’ai fait – comme tu dis justement – parce que je tenais à l’estime de mes amis & qu’Edmond faisait courir les bruits les plus absurdes & tenait les propos les plus faux relativement
Page 1 Verso : 3
à cette affaire. Si tu le veux je t’enverrai les lettres de Mme Rops qui sont à Paris & si tu continues à me répéter que j’ai tort après cent preuves d’une clarté aveuglante c’est que tu auras un tic & je n’y ferai plus attention. Du reste j’ai mis toutes les pièces du procès : lettres d’Edmond, les miennes, lettres de Mme Rops sous les yeux de nos amis Godebski Armand & Taelemans & pas un n’a eu une seconde de doute tellement c’est absolu comme vérité ! Cela ne se discute plus, ce serait grotesque. Ce que je t’ai écrit dès le commencement de l’affaire à propos d’Edmond, je le pense, & c’était justement pour trouver, comme tu le dis un défenseur en cas d’attaques de sa part, que je prévoyais, que j’ai écrit cette lettre, prévoyance bien justifiée puisque au moment même où je te l’écrivais, Edmond disait à Mme Dandoy « que j’avais reçu de Fontaine de l’argent sur le bateau pour partir à Paris » !! Est assez idiot, méchant et canaille ??? Mais à tes yeux il n’a pas tort, naturellement. Tu vois donc que j’avais encore raison de demander quelqu’un qui puisse me représenter & me défendre. Si j’eusse été en Belgique je lui eusse simplement – à Edmond, mis la botte dans les reins, et un coup d’épée dans le ventre, pour lui apprendre à répandre sur ses amis d’aussi infects mensonges, – sachant parfaitement qu’ils sont faux. Du reste tout n’est pas dit sur ce point & il sera tiré au clair. Je montrerai qu’il ne plaît pas de laisser passer sans les punir vertement de semblables canailleries.
Page 1 Recto : 4
J’avais raison de prévoir ces saletés, parce qu’il y avait des saletés précédentes qui m’autorisaient à t’écrire cette lettre ; – saletés que je ne lui ai pas cachées à lui même puisque tu dis avoir la ma dernière livré. À moins que tu ne trouves qu’appeler son ami Samain (avec lequel il a vécu lié étroitement d’amitié pendant cinq ans) : « voleur & escroc » parce qu’il lui doit dix francs, – Popp de maquereau, sa tante de putain, son oncle de cocu idiot & d’embrasser tout cemonde là sur les deux joues, ne soient pas des manifestations d’une loyauté dont il est bon de se méfier, tu seras de mon avis. Fontaine en était du reste lorsqu’il me disait : « Défie toi bien de lui c’est l’esprit & le caractère de sa mère & ils sont capables de tout quand ils en veulent à quelqu’un » Et je me suis défié & les évènements ont prouvé par les « calomnies écloses que j’avais raison de me défier ! et grandement raison !!
Quant à la question du billet, elle est simple & je ferais encore ce que j’ai fait d’un bout à l’autre ! Quand, au mépris de tout amitié de toute convenance la plus élémentaire un de vos amis intimes sans vous prévenir, vous écrit « qu’il fait saisir votre propriété par huissier & qu’il doute de votre parole & qu’il fait cela pour se couvrir » (textuel) vous n’avez plus devant vous qu’un commerçant quelconque & vous n’avez qu’à agir
Page 2 Recto : 5
comme il agit, en commerçant ! & à vous « couvrir » à votre tour, – l’ami qui a posé cet acte n’étant plus votre ami. Ce que j’ai fait je le referais avec joie & satisfaction & je suis prêt à le refaire.
Cela n’est pas vrai que le billet qu’a escompté Edmond ait été escompté pour me rendre service, – je reconnais encore là les mensonges habituels d’Edmond. Il a été escompté pour se payer de la facture Darriett & non pour autre chose. Et la meilleure preuve c’est que quelques jours auparavant prié par moi d’escompter un billet qu’il n’avait pas intérêt à escompter il me l’a parfaitement refusé. Tu te trompes encore en me disant que je devais dire à Edmond « que je n’avais pas les 300 francs », – ils sont là à Paris dans le tiroir de Taelemans a qui je les ai remis & à qui je télégraphie de les envoyer à Edmond ces 300 francs, – et ils y sont depuis le 9 janvier. J’attendais toujours la réponse d’Edmond qui n’arrivait pas. Je l’ai attendu dix jours. Ainsi que les fameuses lettres de Mr & de Mme Dandoy annoncées par Edmond & qui se sont bien gardés d’écrire un mot voyant qu’Edmond leur faisait jouer un rôle ridicule. Il me plaisait
Page 2 Verso : 6
de répondre à une action grossière anti-amicale et blessante par une action de même nature. – Et comme je te le dis je le ferais encore. J’ai toujours rendu horion pour horion & la peine du talion à ceux qui le méritent. –
Quant à Herman – il me devait de l’argent il m’a donné des billets en me disant que l’argent de son nouvel associé Hamelrath devait arriver pour l’époque de l’échéance des billets, – il n’était pas en mesure, – j’eusse payé pour lui si le bateau n’avait pas été saisi par Edmond, – je paie, maintenant qu’Edmond a renoncé aux droits qu’il n’avait pas.
J’ai eu raison de faire ce que j’ai fait.
Je ne comprends rien à ta lettre Jérémiadiforme. Je ne suis pas dans « le pétrin » comme tu dis je gagne six à sept cents francs par mois & cela, fruit de ce travail que tu réclames, – avec justice, de mon honnêteté & de mon courage. – Tout me sourit au contraire. – J’ai fait de jolis dessins, je me portes bien – j’ai toujours de très jolies femmes dans mon atelier ce qui ravit Taelemans, lequel devient un vrai Brummel comme tenue ; j’ai des amis qui croient que je suis un voleur & que veux tu de plus J’ai tort quand j’ai raison, que veux-tu de plus ? – Quant à mes dettes elles vont diminuer de jour en jour, je les
Page 2 Verso : 7
paie tout doucement comme Gouzien, – comme tous ceux qui luttent avec la vie artistique les paient honnêtement & tranquillement, comme Fontaine comme Artan, comme Dubois qui ne sont pas de misérables gens pour cela je pense. Il n’y a pas lieu de crier si fort péril en la demeure & de monter sur les toits pour dire que la maison brûle. Elle ne brûle pas, elle est assurée. Que nous ne nous entendions pas absolument sur des points de morale universelle c’est possible. Il paraît que je fais des choses que tu ne ferais pas & que si un monsieur qui se dit ton ami t’enlevait tes bottes – par huissier – tu lui rendrais le parapluie qu’il a oublié chez toi, – moi pas : je lui garde son parapluie en lui disant rendez moi mes bottes & je vous rends votre pépin. – La loi du lynch me parait la plus belle des lois & la plus juste. Donc, si je fais des choses que tu réprimandes à ton point de vue, & qui blessent ton sentiment, – tu en fais que je ne réprimandes pas moins énergiquement & qui blessent le mien – de sentiment, non moins violemment. – C’est affaire d’appréciation & je ne t’en aime, ni ne t’en aimerai pas moins, tu le sais, – & tu ferais des choses plus répréhensibles que cela ne changerait pas mon amitié.
– Que veux-tu je vois les choses de haut & avec une grande indulgence, – c’est mon habitude On peut toujours répéter à mes amis ce que je dis d’eux & surtout de toi. Tous tes amis ne pourraient pas en dire autant sois en persuadé. Et je te renverserais de ton haut en te répétant simplement les propos tenus, ce
Page 2 Recto : 8
que je ferai peut-être bientôt pour mon plaisir personnel. Quant à cette « aliénation » de mes amis dont tu me parles » si mes amis prétendus, sont assez sots pour croire que je suis un imbécile de mauvaise foi – assez stupide & mauvais drôle pour soutenir qu’un bateau « dont il se moque » lui appartient & a été payé par lui » que mes amis s’aliènent eux mêmes !! Je m’en consolerai facilement, comme de tous les potins qui se feront de la baraque Fraiture au phare d’Ostende, & de Chimay à Hogstraete ! – Tout cela est petit – petit – petit et bête par dessus le marché.
Quant au dessin d’Hannon ce dessin n’a pas été promis à Hannon mais a Delecourt le fondateur du Journal des Écoles, & de l’artiste. Il m’a réclamé il y a un an à la fondation de l’Artiste cet en-tête. J’ai mis un an à tenir ma promesse & deux heures à l’exécuter – ce n’est pas trop. Du reste je n’ai pas vu Hannon & je compte avoir à un moment donné une explication sur certains faits, quoique je ne veuille pas trop entrer dans les rancunes d’une petite fille qui se laisse prendre le cul par le premier venu & rage d’avoir été délaissée. Je lui ai demandé à voir ces fameuses lettres d’Hannon jamais elle n’a consenti à me montrer le moindre bout de lettre, la preuve de ce qu’elle avançait. – Tout cela n’a rien à voir avec le journal l’Artiste qui m’a fait des réclames & que je paie. Tu connais notre Belgique & tu sais quelle jolie fondrière à méchancetés & à cancans elle fait ! On y enfonce jusqu’à mi-jambe dès qu’on y met le pied. Je ne veux pas entrer dans toutes
Page 3 Recto : 9
ces machines là, – cela m’embête. Tu dis qu’on n’obtient de moi que des promesses. Je ne dois de dessins à personne, – & je veux rester libre naturellement de placer mes dessins comme je l’entends, – j’ai donné des dessins à l’Art Universel & à l’Artiste, qui c’est une façon de les payer, comme j’ai donné une prime à la Chronique. –
La personnalité des directeurs n’a rien à voir la dedans. Quand je donne un dessin à la Vie Parisienne comme celui de Dimanche sur Monaco dont les croquis sont de moi ce n’est pas à Mr Marcelin qui m’est désagréable – c’est à la Vie Parisienne. Du reste tu sais comme moi qu’on ne s’occupe jamais ici de ces bêtises. – Burty est à couteaux tirés avec le Directeur de l’Art & il écrit dans l’Art. Tout cela « c’est des bêtises » comme dit Dupuis. – Tous nos amis sont toujours occupés à se manger le nez & à s’éreinter. C’est embêtant – !!!!! Je ne veux pas entrer dans tous ces cancans. On passerait sa vie à cela. Mon dessin es-t-il bon ou est-il mauvais. S’il est mauvais j’ai eu tort voilà tout.
À bientôt Cher Vieux Je t’embrasse.
Fély
Ci-jointe la lettre que j’écris à Edmond. « Puisque tu étais à la peine, sois à l’honneur !! – Voilà encore une bien longue lettre ! & du papier gâché – et pendant ce temps là la mer bleue déferle sous le soleil & je ne la regarde pas ! Que le diable emporte toutes ces stupidités. – Ce qu’il y a de plus
Page 2 Verso : 0
réjouissant en tout cela, c’est que par hasard j’ai retrouvé une lettre de toi, (il y a peu près cinq ans que tu l’écrivais) – à propos de Verdhurt-Fétis, & dans laquelle tu me dis que j’ai toujours « été exploité, que je suis une dupe & que j’ai la réputation « d’un exploité », que je dois me mettre en garde contre les parasites qui m’entourent &c &c – Et maintenant les temps sont changés !!
Donec eris felix multos numerabis amigos – si fuerint nubilia !!!... Solus eris !!!!!!!
Heureusement je ne suis pas encore « si seul !! »
Que veux-tu je suis philosophe, & je ris beaucoup des choses & du pourquoi des choses surtout !!!!!
À toi
Je suis de ton avis ces deux lettres, celle que tu m’as écrite & celle que je te réponds doivent rester entre nous – celle que j’écris à Edmond doit être communiqué à nos amis, j’y tiens, je sais que cela ne changera rien à leur opinion faite & qu’ils ont pour quelques uns, intérêts à avoir. – Mais je ce que je fais, je le fais pour moi pour ma satisfaction personnelle & « non aultre ». –
Rencontré aujourd’hui deux dames belges à Monaco ! – avec Gouzien, – on eut dit que le ciel me les faisait tomber dans les mains pour notre gaieté personnelle. Elles ont dit de toi de moi – de Liesse de Carlier un si joli mal & si bien dit qu’il nous a semblé déguster une tranche de notre belle patrie – Patria Belgica ! Ah si on les croyait !!!! –
Détails
Support
3 feuillets, 10 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR