Numéro d'édition: 2834
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Paris
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/469/21
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
longue mise en train
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MARVY n’avait employé le vernis mou que pour les paysages.
Paris.
MOU – Mon Vieux, – MOU, vernis mou. – MARVY. – artiste peintre.
Du reste, rassure-toi, il est tout naturel que tu ne connaisses pas ces machines là, ne crains rien, il n’y a pas un graveur Belge qui se doute de la chose, & les Copman surtout ! Et le reste !!
– Pour ton édification, voici la chose en quatre mots : sur une planche de cuivre on pose un vernis qui est, au lieu d’être dur comme dans l’eau-forte, devenu mou par une addition de cire ou de suif. Au lieu de travailler à la pointe comme sur le vernis dur, on pose sur ce vernis un papier fin & grainé légèrement, on rabat les bords que l’on colle sur le bord de la planche, on s’arme d’un crayon quelconque : ni trop dur ni trop tendre, puis l’on dessine sur le papier tout naturellement, en ayant soin de ne pas effleurer le vernis avec la main. Quand on enlève le papier, le vernis a adhéré par la pression, partout où le crayon a passé. On a donc un enlevage de vernis sur le cuivre, lequel enlevage reproduit en négatif le dessin du papier. On fait mordre les parties enlevées & l’on obtient – un fac-simile du dessin. – Seulement tu comprends quelle « devination » de la morsure ! – La planche faite on met du vernis dur & l’on ajoute
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à la pointe les parties que l’on veut faire à la pointe comme les petits satyres du frontispice. – Voilà.
Je suis fort inquiet de ta lettre adressée à Félicien Rops. Songe que dans ce moment il suffit d’une « mauvaise humeur » du concierge ou de la fille du concierge de l’administration des Beaux Arts, pour me faire rater mon subside. Mets ma personnalité tout à fait de côté je te prie, cela peut me coûter huit ou dix mille francs, – car rien « n’est signé » ! & comme le dit Rousseau dans sa dernière lettre : « il importe de ne pas faire étourdîment parler de vous à propos du livre de Hannon » J’ai dû écrire à Hannon pour faire retirer toutes les petites affiches gravées chez les libraires représentant une femme en chemise tenant sur la main un petit satyre.
Le « ministre » a dit à Picard : on ne voit jamais le nom de Mr Rops que mêlé à de « sales choses » – c’est difficile de s’occuper de lui !! Tout ce qui n’est pas bourgeois est « sale chose » pour ces animaux là ! –
Donc motus vieux ! adresse ta lettre à Octave Uzanne 72 Rue Bonaparte à Paris – Leclercq est au diapason du ministère. Il se modèle & se module sur lui.
Je te montrerai les lettres de Rousseau ! Tu n’as vu que les « anodines » mais les autres ! Tu comprends qu’une lettre violente à moi adressée, c’est comme si je l’écrivais moi-même. Tu es libre, tu peux dire tout ce que tu veux,
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c’est pour cela que je disais de mettre les pieds dans le plat, puisque tu es à l’abri des demandes de subsides ! Homme Heureux que tu es !!! et parce qu’en ce faisant tu rends service à l’art & aux artistes. Donc bonne chose. Hannon aussi a de la « fortune » & peut se fiche de tout ! Moi j’ai besoin du ministère pour le moment. Sauf à lui jouer un tour qui me paiera des polissonneries qu’ils me font ! – Après !! – après !
– C’est parce que je sais combien ces animaux sont ombrageux & vindicatifs & rancuniers, tous Leclercq !!! que je te prie de changer l’adresse de ta lettre. Je passerais auprès de ces gens là pour t’avoir prié de
– Cela ne raterait pas !! Et Lundi prochain je recevrais une lettre de Rousseau ainsi concue : « Malgré tous mes efforts, mon Cher Rops, votre nom ayant été mêlé trop particulièrement aux articles parus sur ce malheureux livre de Th. Hannon, & ma promesse de subside étant soumise à l’approbation de mon Chef j’ai le regret de t’annoncer que l’on ne peut donner suite à ta demande &c &c…. »
Cela ne raterait pas te dis-je !
Mais tu ne les connais donc pas !! que tu te livres toi à toutes tes franchises c’est nécessaire !! – Il faut flanquer le mufle de ces bêtes là dans leur merde, mais mon cher Vieux, je suis pour le moment le Mr auquel on cherche des poux sur la tête pour le déclarer teigneux, & lépreux aussi ! L’article de Leclercq j’en suis certain cachait le in cauda venenum destiné à faire crever mon subside.
Rousseau a la main forcé par moi & il ne
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cherche qu’une chose : dégager sa main !! – & il trouverait là le prétexte.
– Voilà pourquoi je t’ai fait parvenir la note me concernant. Ne dis rien de plus, ou j’en pâtirais cruellement & si le subside ne venait pas, – et cela ne tient qu’à un fil ! – ce serait désastreux pour moi ! Tu comprends quelles précautions il faut pour amener cette carpe dans ma nasse : un rien & la ligne casse ! –
Mais si il faut faire les articles Blankenbergheux & Heystois. Au contraire : Fin de Saison !! Tu les as dans l’esprit ces articles là & deux petites lettres ou une petite lettre vont arranger tout ! Songe à notre pauvre hôtel de ville de Blankenberghe. Tu peux le sauver ! – Et puis tu l’as – l’article !
– Il ne faut pas que tu restes en Belgique passé le printemps & il te faudra faire une poussée, pour te détacher de ces mille fils d’araignée qui t’enlacent & t’embêtent : on use sa vie à cela c’est moi qui en sais quelque chose !! Et quand c’est brisé on s’aperceoit qu’il ne s’agissait que d’une petite poussée de rien du tout ! – Reviens pour la Noël dans tous les cas, avant si tu peux, & si tu tiens réellement à faire un mariage à Paris, qui te convient – à mon point de vue – au point de
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vue de la gentillesse & de l’honneteté de la jeune fille en vue, mais tout naturellement va te rater dans les mains, si tu continues à ne jamais savoir ce que tu veux. & on ne vit pas de ratages !!
C’est simple : veux tu te marier oui ou non ? Si c’est oui il faut le vouloir & laisser toute veulerie de côté. Et cela nettement, absolument, – parler à la jeune fille & te décider. Si c’est non – que ce soit non ! Mais ne pas attendre les « je ne sais quoi » que la vie ne vous apporte que si on la force à vous les donner, – c’est là la sagesse ! Il y a onze ans que tu es à Bruxelles & tu ne pourras je crois, rendre ton intérieur plus agréable qu’en en créant un autre.
– Ta fillette a l’air bon & doux & je crois qu’elle n’est pas de nature à te créer bien des ennuis avec ta femme, – puis il faut songer que les filles cela se marie, plus vite souvent qu’on ne le croit ! & que l’on peut se trouver seul du jour au lendemain. Ce qui n’est que peu gai. Or si on ne prépare pas son dernier nid de longue main on est fort embêté. Il te faut comme à moi une longue « mise en train » pour tout, mais ne prolonge pas trop les situations peu nettes & qui sont embêtantes, – casse les fils !
À bientôt Vieux Copaing & songe à tout cela
Ton vieux
Fély
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Je te dis de revenir pour la Noël, naturellement je te verrai en Novembre.
À toi
Fély
Amitiés de tous
Détails
Support
2 feuillets, 6 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR