Numéro d'édition: 0814
Lettre de Félicien Rops à [Henry Jean Hubert Kistemaekers]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Henry Jean Hubert Kistemaekers
Lieu de rédaction
Paris
Date
1884/01/19
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
III/215/7/12
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
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Paris le 19 janvier 1884
Monsieur,
J’étais absent Samedi lorsque votre lettre est arrivée, j’étais aller patiner à Rambouillet, chez un ami qui possède des beaux étangs. Je suis rentré hier & j’ai trouvé le mot que vous m’avez écrit en quittant Paris.
Malgré l’ennui de continuer une correspondance inutile; puisque l’affaire est une question de sentiment, & que nous pourrions nous regarder face à face, pendant l’Éternité comme les serpents d’Hermès, sans jamais nous comprendre, je suis cependant obligé, pour l’éclaircissement « de la matière » ainsi que disent les juristes, de répondre à votre singulière question : pourquoi vous ferais-je des avances ? – c’est très simple et je vais y répondre simplement :
Parceque jusqu’à présent,je vous avais amicalement obligé, pour rien autre chose, & cela je vous le prouve :
Il y a un fait premier, une « base » un point de départ indéniable, & que si vous êtes de bonne foi, vous ne nierez pas, c’est que je ne fais pas d’eau-forte pour 150 frs. – Je peux vous prouver par vingt ou trente lettres, autant de témoins & autant de reçus, par autant de preuves matérielles, vivantes & parlantes que vous en pourriez désirer, que je demande toujours
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& que l’on me paie : de 300 à 1200 francs pardessin gravé, – moi gardant le dessin. (voici quelques exemples :
Il est évident que l’on promet toujours une planche plus vite qu’on ne la donne, surtout lorsque l’on veut soigner son travail. Les éditeurs connaissent ces défauts inhérents à certains artistes & leur donnent du temps, comme vous m’en avez toujours donné. C’est une convention tacite à laquelle vous vous soumettiez, puisque vous en aviez deja eu l’expérience par deux premières planches. Donc ces faits premiers me paraissent absolument indiscutables. C’est clair comme l’Eau d’Appolinaris. –
Partant de là voulez vous prendre un jury d’éditeurs – d’éditeurs propres : mettons Lemerre, Dentu, & Charpentier. ou d’autres si vous le voulez. vous leur adjoindrez deux artistes : Flameng &
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Leloir, – ou même des artistes à vous : MMrs Masson & Moloch, ou Lenain. – Des Éditeurs seulssi vous le voulez encore : Vous leur poserez les faits qui sont simples, bien simples ; Les voici :
– Mr Rops ne connaît pas Mr Kistemaeckers
– Mr Kistemaeckers demande une eau forte à Mr Rops pour Mr Cladel ou plutôtpour un livre de Mr Cladel.
– Mr Rops lui envoie son prix déja adouci, parce qu’il s’agit d’un livre de Cladel, qu’il n’a encore vu, d’ailleurs que deux fois dans sa vie.
– Mr Kistemaeckers lui écrit une longue lettre lui donnant des considérations dans lesquelles Mr Rops n’avait nullement à entrer, mais désirant faire quelque chose pour le seul éditeur Belge qui soit au monde, & pour Cladel il consent à ne faire payer cette eau-forte que le prix dérisoire de 150 frs.
Mr Kistemaeckers bénéficie donc de la différence qu’il y a entre le prix habituel de Mr Rops : 300 frs, & le prix fixé à 150 frs.
Donc gracieuseté de Mr Rops : 150 frs.
– Mr Rops rend visite à Mr Kistemaecker. Réception tout à fait charmante & amicale. Mr Kistemaeckers parle à Mr Rops de ses livres, lui dit qu’il désirerait des eaux fortes de lui, s’il voulait lui faire un prix d’ami : – Mr Rops fait un prix d’ami Mr Kistemaeckers prie Mr Rops de le traiter encore plus en ami. Mr Rops enchanté des allures aimables de
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Mr Kistemaeckers le traiteencore plus en ami & consent à faire deux eaux fortes au même prix dérisoire de 150 frs.
Entretemps Mr Rops offre à Mr Kistemaeckers deux bois qui pour tout éditeur seraient payés cent francs.
Ci : Gracieuseté de Mr Rops – 100 frs
Mr Rops fait le Christ au Vatican
Mr Kistemaeckers bénéficie de la même différence que pour le Pendu
Ci : Gracieuseté de Mr Rops : 150 frs
Mr Rops faitla Chandelle d’Arras qui se trouve comme les autresplanches, en retard. – Mr Kistemaecker bénéficiait donc encore comme pour les autres planches de 150 frs toujours amicalement, lorsque Mr Rops pris au dépourvu par un non payement s’avise de demander aussi amicalement, s’avise de demander à Mr Kistemaecker une avance de 400 frs, avance de quelques jours. Mr Kistemaecker (plus ami du tout !!) lui refuse une avance & envoie une grossièreté.
Je demande que l’on juge de quel côté est le droit, – Je crois qu’un artiste qui amicalement, (amitié invoquée par l’éditeur par ses faits & ses lettres) accorde à un éditeur 400 frs « d’amicalité » sur trois planches et deux bois, peut se permettre de demander à son ami l’éditeur susdit ces mêmes 400 frs en avances
Voilà ma réponse à votre question : « Pourquoi vous accorderais-je des avances ? »
–
Je crois que le jury ne trouverais pas la générosité de votre côté. –
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Quelques dernières considérations générales : Vous niez la grossièreté de votre lettre & vous me dites que « vous ne m’avez pas comparé à Mr M…… (Notez que je ne sais pas si Mr M….. est honnête ou malhonnête, je ne le connais pas, je ne parle que d’après vous, d’après ce que vous veniez de m’en dire, & ce que vous veniez de m’en dire, constituait du moment o[ù] vous le donniez comme exemple pour appuyer votre refus une grossièreté absolue, ou vous ne savez pas la valeur des termes que vous employez ! – C’est exactement comme si vous disiez à un Monsieur quelconque : « Mr nous allons entrer dans ce bois, mais je ne veux pas y aller avec vous, hier un Mr m’y a volé ma montre. » – Rien autre chose !
Et voyez comme votre conduite est illogiquecomme vos paroles. Vous dites que vous considéreriez comme une injure de me comparer à Mr M….. & vous vous en défendez. Vous faites des avances à Mr M….., auquel vous ne devez rien – amicalement, – et vous m’en refusez à moi, & vous vous appuyez pour cela, sur le peu d’honorabilité de Mr M……, auquel vous vous défendez de me comparer !! – C’est je crois le comble de l’illogisme.
Tout cela ne rappelle-t-il pas la légende de Gavarni : Tu es mon ami, mais je ne suis pas le tien… &c &.
– Si ce n’avait pas été par simple gracieuseté de ma part, pourquoi aurais-je baissé mon prix ? – Il y a bien des éditeurs ici, & bien des offres me sont faites. – J’étais en
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rapports avec Gay avant de l’être avec vous pour le volume des
Ce qui est encore absolument indéniable c’est que je vous défie de trouver à Paris, en payant 300 frs la planche de trouver un dessinateur-graveur (je ne parle ni de dessinateur, ni de graveurs, je dis : un dessinateur graveur qui me remplace & qui vous fasse ce que je vous faisais. En payant plus : de 500, 700 à 800 francs vous le trouverez, je ne suis pas unique! Il y a des gens qui ont plus de talent que moi : je ne me surfais pas, je sais ce que je vaux, voilà tout.
Est ce à dire que je vous tiens en piètre estime comme éditeur ? Point. – Si je crois que vous avez manqué d’intelligence ou plutôt de tact, – (cette qualité si rare & sans laquelle les autres disparaissent)en cette occasion, je sais rendre pleine justice, à vos qualités, à votre activité, à votre initiative, à votre audace, à votre intuition, à votre facilité à comprendre & à vous assimiler les choses mêmes que vous ignorez & cela n’est pas peu dire comme éloge ! – Mais il ne s’agit pas seulement d’être un éditeur malin& de vendre des livres adroitement comme vous vendriez des lapins
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ou de bonnes lorgnettes. Il faut encore avoir la science de l’entregent, nécessaire surtout à Paris, & le tact dans les relations surtout avec les gens qui vous traitent en ami. – On peut toujours remplacer la science réelle, l’instruction littéraire, voire même l’éducation ! par certaine routine, (je parle en général, je vous assure,) et il y a même beaucoup d’éditeurs qui font de mauvaises affaires avec des cerveaux bien meublés. Cela ne prouve rien. La Librairie je le sais ne demande plus ces qualités, mais soyez persuadé qu’on ne réussit réellement qu’avec de la bienveillance & de la sociabilité, car ce sont les seules qualités dont les autres profitent. Je dis cela en thèse générale & non pas pour vous donner des conseils que je n’ai ni le droit ni l’envie de vous donner.
Je peux avoir maintenant un tort. c’est en ne vous rendant pas une planche sur laquelle vous comptiez. Cela me chiffonne & je n’aime pas d’avoir tort. C’est à vous de juger, si je peux vous faire tort ouiou non. Dans un premier moment non pas de colère cela n’en valait pas la peine, mais de mépris pour votre attitude envers moi, j’ai tout envoyé se promener, vous & les planches.
– Puis vous m’aviez dit vous même que vous ne teniez plus à avoir une planche aussi tard. ce qui avait facilité ma résolution. – Mais je ne veux pas vous faire de tort pécuniaire. Voulez vous que je vous fasse tirer autant d’épreuves que vous le jugerez nécessaire ?? Gratuitement, – de la planche de la Chandelle d’Arras ? – Vous paierez simplement le tirage à Delâtre. J’espère que ma proposition est aimable & vous pouvez l’accepter sans vergogne, car je ne veux pas avoir de torts de mon côté. – Je ne vous en veux pas du tout !
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Vous avez agi selon le métier que vous exercez là bas & selon votre nature. Je me suis trompé sur celle-ci, la faute n’en est donc qu’à moi. J’en ai pâti & je m’en suis pas plaint, j’ai constaté des faits voilà tout.
Acceptez Monsieur mes Salutations et transmettez mes respectueux hommages à Madame Kistemaeckers je vous prie
Félicien Rops
Détails
Support
2 feuillets, 8 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
177 - 177 x 226 - 226 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR
Personnes citées
Félicien Rops
Léon Cladel
Octave Uzanne
Auguste Delâtre
Alphonse Pierre Lemerre
Alfred Alphonse Cadart
Alfred Delvau
Édouard Dentu
Georges Charpentier
Élise Kistemaeckers
Alexandre Piedagnel
Jean-Baptiste Auguste Leloir
Henry Jean Hubert Kistemaekers
Léopold Flameng
Louis Lenain
Hector Colomb, dit Moloch
Jean-Jules Gay