Numéro d'édition: 2618
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Mettet
Date
1872/04/03
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/468/32
Collationnage
Autographe
Date de fin
1872/04/03
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
Projet de travail ; Amour
Page 1 Recto : 1
Thozée ce 3 Avril 72
Cher Vieux,
Que veux-tu que je te raconte ? Il n’y a rien de nouveau ici. Je suis à Thozée je travaille à une machine énorme & de toute première importance, – laquelle machine est bien dans mes cordes et me paraît destinée à faire une certaine sensation dans le monde artistique belge. Voici la chose en deux mots : Je fais 200 dessins – croquis, crayons, plumes, esquisses à l’huile, le tout à la diable & dans les bonnes colorations rageuses que tu me connais et pendant la grande exposition qui s’ouvre le 1er Aout à Bruxelles, je fais construire une baraque place du Musée, – entrée 50 centimes !, – j’y flanque mes dessins y compris les 12 lithographies pour Gouzien, – j’y fais peindre par un peintre en bâtiment qui a ma confiance, en lettres d’un pied ½ de hauteur l’inscription suivante qui fera crisper les Bruxellois jusqu’à la troisième génération mâle :
Exposition Félicien Rops
Croquis de guerre
1870-71.
Et voilà ! – Tu vois que moi aussi « je brûle mes vaisseaux » – Je suis en bonne veine de travail
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– Il ne me plaît pas de finir en fruit sec. Du reste Bruxelles m’embête. Ton départ & celui de Malassis ont achevé de lui ôter le peu de charmes que cette ville en Brabant gardait encore pour moi. – Les femmes y ont de grands pieds & le reste à l’avenant, – les hommes ont tous l’air de laisser couler leurs cervelas dans leurs bottes, & l’on finirait par croire, – le diable me pardonne, par croire qu’Émile Leclercq & Alfred de Musset ne font pas deux ! Je veux bien habiter cette agglomération visqueuse à la condition de ne pas y rester & de me foutre des autorités qui y sont malproprement constituées, mais quant à entrer dans la danse & crâmignonner avec eux, Non, mon ami, j’ai encore trop de nerfs & trop de sang pour cela.
– Et puis que veux-tu ? – Il se peut que nous soyons des corrompus & des décadençarts, tant pis ma foi ! – Paris reste pour nous ce qu’il était : la ville –
Urbs
! – & voilà pourquoi je tiens à y faire mon trou & voilà pourquoi je travaille & voilà pourquoi je suis ici ; – et puis vous y êtes là bàs ! Et toi ? Ah mon ami, la rentrée de l’objet aimé au bras de l’objet détesté a fait jaser jusqu’aux dalles du passage St Hubert. – On s’est répandu en conjectures de diverses sortes – moi j’ai eu l’air naïf & l’on m’a vu surpris & ignorant : On en a conclu que je ne voulais rien dire & l’on m’a laissé tranquille.Du reste j’y perds le latin culinaire que m’a introduit le Père Bergeron & tu passes à l’état Sphinctérien (de Sphinx ou de Sphincter !) – Je n’y puis rien comprendre, comme Georges Brown,
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Quels droles d’êtres vous faites ! Cette Monaco où l’on chasse & l’on déchasse & l’on rechasse me jette en des rêveries singulières. Je demande le mot ou la combinaison chiffrée !
Ah ça qu’est ce que cela devient tout cela ? Je retourne pour huit jours à Bruxelles écris moi & envoie moi la clef de ce Fichet. Rue de la Loi 115 ! – Voilà 3 semaines que je n’ai eu de tes nouvelles. –
Fais mes compliments à MmeDommartin & à Hector. – J’écris à Gouzien. – Le petit Agneessens est revenu de St Petersbourg, réduit de moitié – les dames russes n’ont laissé revenir en Belgique que ses parties honnêtes – et ce n’est pas vraiment suffisant. J. Herman de Buysingen jardine toujours comme si de rien n’était & reste toujours le bon garçon qu’il est. – À propos je t’enverrai la date de l’échéance Malassis je crois que c’est le 15 mai ou le 20 mai. Apprête toi c’est bientôt ! les échéances vont vite !
Paul va mieux, – il n’est cependant pas encore tout à fait remis mais cela commence à nous inquiéter beaucoup moins. Ma
On réclame à cris de peintre des articles pour l’Art Libre. – Envoie n’importe quoi afin de ne pas avoir l’air d’abandonner tout à fait cette chose pour laquelle tu as tant promis & si peu tenu, lâcheur que tu es !
La mère d’Émile Hermant est morte. – Artan veut toujours partir pour Paris. – Henri Liesse est directeur d’un journal de Ville d’Eaux : l’Ondine. On va jouer le Vaisseau Fantôme. (Ne viens-tu
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pas entendre cela avec Armand ?) – Madame Dandoy est enceinte d’un jeune Dandoy, – ce qui n’a pas empêché la Sanguinaria Canadensis de fleurir dans mon jardin, & la Société Libre d’Abéona unie à la Colombe Fidèle de me nommer membre d’honneur de la dite Société, et voilà « les nouvelles » ! et c’est tout :
Ah non ! – Je suis amoureux d’une anglaise, & je passe mes soirées à traduire de nouveau «
The Vicair of Wakefield
» dans le but de peindre – dans la langue de ses pères – ma flamme à cette Clarisse Harlow poitrineuse, – très très poitrineuse. – Et je l’aime, Mon Ami, et elle m’aime ! – Bible, Thé & Théton – tout est là ! – tu n’as jamais su ce que c’était toi que les filles du Cambridgeshire ! – J’écoute six mille vers de cette brute de Tennyson ! par nuit ! – Je m’en fiche je ne comprends pas ! Il est vrai que si je comprenais je serais forcé de l’étrangler & c’est toujours pénible, – Et je l’aime mon ami ! – Elle est aussi bête mais aussi jolie qu’une Rose du Bengale – en boutons en gros boutons par exemple ! –Cher, Je t’embrasse en attendant que je te fasse reciter par « elle » quelque fragments de ce barde aimé de Tennyson. – En voilà un cochon qui aura du plaisir si je le rencontre sans défense dans un endroit désert !
Et « Elle » s’appelle « Léonia » – Tonnerre ! si elle n’était pas tétoniale !
À toi
Fély.
N.B. Ne laisse pas trainer – pour la gloire de Tennyson ce fragment d’histoire de Belgique. Déchire ces archives compromettantes.
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR