Numéro d'édition: 2112
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
s.l.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6714/6
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
1881
Page 1 Recto : 1
Mon Cher Léon,
À la bonne heure au moins, j’y vois clair & je suis de ton côté. C’est que tes lettres, ni tes conversations ne disaient rien de tout ce que tu m’as dit, & je jugeais les choses du haut du monticule que tu m’avais désigné comme dominant le panorama. Or de là, je ne voyais rien, il y avait un sacré brouillard qui voilait tout & sur lequel tu ne te pressais pas de souffler. – Ça y est maintenant & je t’approuve. Je partais de ceci : que tu refusais « à notre âge » une jolie & surtout bonne fille, honnête, dont tu pouvais faire tout ce que tu voulais & par conséquent te rendre heureux. Les parents n’existent pas, ils sont toujours ce que l’on veut quand on domine une femme. Puis je croyais d’après sa démarche, à un entrainement réciproque. Entrainement de sa part qui ne m’étonnait en rien. Car si nous sommes décatis physiquement, nous avons pour plaire encore heureusement d’autres qualités ; & il était très simple & très naturel qu’une femme intelligente t’aimât, malgré la différence d’âge. – Comme je crois que d’autres t’aimeront quand elles te connaîtront. Ta lettre est nette & claire. Tu étais dans la plaine & tu voyais
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mieux les choses que de ma montagne d’ici – & maintenant je t’approuve bien. Donc viens en mai, sans faute. Je connais Marie Bonvalot depuis cinq ans elle avait quinze ans quand Léontine l’a reçue & elle en a fait une autre Aurélie. Travailleuse, pas faible de caractère, intelligente, alerte une femme à te secouer, chaste comme les vraies femmes qui se réservent & qui n’en sont que plus amoureuses & plus femmes à leur heure. Elle t’aidera dans la vie si tu arrives a avoir le bonheur de l’épouser, car je te l’ai dit : si j’avais un frère je la lui conseillerais comme femme. Et pas une seule amourette depuis cinq ans ! Le grand cœur d’Auré avec les mêmes brusqueries, & les mêmes mépris pour tout ce qui n’est pas le vrai. « Des amoureux !» allons donc disait-elle hier, je n’ai pas le temps d’y penser, puis je ne peux me marier que quand le petit frère sera tout élevé & instruit, quand le père & la mère seront plus à l’aise, j’ai des devoirs, Monsieur Rops, & avant tout il faut faire son devoir. – Quant une femme parle ainsi à vingt ans & qu’elle est jolie c’est une vraie femme. – Ces paroles si banales sont devenues rares & d’une bonne éloquence à mon avis.
Parents vulgaires, quest ce que cela fait ? – Gens honnêtes d’ailleurs, le père employé depuis vingt ans gare de l’Ouest. Mère envahissante & embêtante dans l’admiration de sa fille qui ici, la flanque tout simplement à la porte de l’atelier lorsqu’elle veut l’empêcher de travailler la nuit & comme elle le dit net la mettrait très bien à la porte de son « chez elle », si elle venait l’embêter de son affection encombrante ou de ses humeurs variées. Car ce n’est pas une
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bonasse la petite Marie ! –
Elle est intelligente absolument & comme elle est toute jeune tu développeras cela. Voilà ce qui en est. Si tu peux réussir, tu seras méprisé par les imbéciles parce que tu épouseras une petite bourgeoise, une ouvrière. Mais celle-là ne te fera pas cocu, & te fera travailler comme elle. Brave fille joyeuse comme Léontine quand l’ouvrage marche & que les robes s’amoncellent sur la table de travail. Quels braves & honnêtes natures que tout cela ! – si tu savais comme nous sommes peu de choses à côté d’elles. Tu as raison on ne trouve qu’en France ces natures élégantes naturellement, – parce que la race est fine ; – & courageuses comme des lionnes ! Ce sont ces femmes là qui rebâtissent le Paris brûlé de leurs doigts de fée, lorsque les Flamandes à leur place continueraient pendant dix ans à geindre & à se gratter les fesses. – Les bourgeoises de tous les pays sont les mêmes, ce n’est pas le peuple.
Évidemment Gouzien nous méprisera de partager notre vie avec des gens qui ne sont pas du monde. Je les connais les dames du monde, je leur ai assez troussé les jupes à dentelles payées par le mari – heureux & fier d’ailleurs.
– Je te vois avec MmeGouzien comme femme ! D’abord tu ferais comme moi, tu la flanquerais « à l’huche » comme on dit à Namur.
– Donc en mai. Je n’ai pas encore envoyé les machines d’Hallaux parce que je veux retoucher la planche.
Tu recevras la Chandelle après demain je n’ai pas encore les épreuves, ce cochon de Salmon m’a manqué de parole.
Ton affaire avec Gay est entendue. Je
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viens d’arranger l’affaire
« L’affaire » de la rue Bréderode est bien plus sérieuse que tu ne crois. Je te prie d’aller trouver Mr Carton de Wiart avocat 75. Rue de Stassart à Bruxelles que j’ai chargé de mes intérêts qui a dû déja faire une opposition à la vente Sembach & revendiquer les meubles dans les formes légales. – Le témoignage de Jacob n’a d’autre valeur que celle d’un témoignage ordinaire. Le tien a un certain poids, parce que c’est à toi que j’avais d’abord en partant cédé l’atelier avec tout ses meubles. Cela est très important. Tu l’as laché & je l’ai repassé à Navez qui l’a repassé à Sembach, voilà la chose. Je t’envoie chez Carton pour dire cela, car il me demande des renseignements
À toi Vieux & à bientôt.
Fély
J’oubliais. il me faut absolument l’adresse de Sembach..
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR