Lettre de Félicien Rops à [Théodore Hannon]

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J’interromps mon travail, oui « mon travail ! » Monsieur Théo, j’y suis déja au travail, et pendant que je t’écris, Mlle Aline de Gobart, une Belge, savez vous, – chauffe au grand poële de l’atelier, ses belles cuisses de déesse, & de temps à autre me montre – entre une échappée de chemise, un bout de Toison d’or à rendre fous les Argonautes, si ces gens intéressants pouvaient encore jouir de quelque virilité.

Tout cela en fumant une cigarette & en me faisant raconter Bruxelles, ville qui l’intéresse parcequ’elle y a perdu le bout de virginité qui lui restait, & qui, par entêtement pur, avait résisté aux indexcités des quinze cousins qui jouaient avec elle à « qui touche mouille !! »

Bonne fille d’ailleurs, le cul sur la main, & ayant comme les Apôtres, reçu du St Esprit le don des langues. – Mais j’ai le respect de mes modèles moi, Monsieur Théo !!!!!!!!!!!!

Dans cinq minutes, ma lettre finie, Mlle de Gobart, – aillée aux plus belles familles de la Flandre Orientale, – va poser la « Muse de l’abbé Grécourt » avec cette intelligence & cette finesse d’attaches qui la feront vivre sous l’Impérissable Eau-forte !! –

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Mettons dix minutes. parce que ma lettre sera longue pour te dire tout ce que j’ai à te dire.

Je suis filé de Bruxelles comme un extradé parceque Marc de l’Illustration – directeur intelligent m’a télégraphié de prendre le train sur l’heure pour venir lui parler. J’ai pris le train & je suis venu ! Il s’agit de faire une série de dessins pour le roman que Daudet vient de lui vendre. Excellente affaire pour la réclame ! Je fais cela avec Dagnan-Bouveret (celui qui a fait, le jeune homme blessé au dernier salon.) un malin ! il faudra que je prenne mon dessin « des Dimanches » pour lutter avec cet aimable ficelier !

Je suis en bonne veine de travail. Je vais abattre un ouvrage dur, je sens cela. – Je m’attendais à recevoir une lettre de toi concernant Nys et m’apprenant le résultat de ton entrevue avec Rousseau.

Faut-il écrire à ce dernier ?

Je vais te renvoyer tes cuivres tout de suite finis. et demain ou plutôt après demain matin tu recevras deux Satyres. Si Gay a un correspondant chez lequel je peux les faire remettre cela m’éviterait le port. En sortant de chez mon amie Mme Dax, (Je retourne à Bruxelles, rien que pour lui faire l’Experte en dentelles, par parenthèse !) passe chez Gay et demande lui cela. Dis à la grosse belle Doucé que, les parties les plus nobles de mon individu ont l’honneur de – de la visiter en rêve !! – N’y manque pas ! Dis aussi à Gay que tu lui apporteras le cuivre de Grécourt. Dis lui aussi que s’il veut rééditer tout de suite le volume de Glatigny : Les propos du Sire de la Braguette

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je lui ferai un frontispice « chique, ou chic comme cela lui plaira. – Dis lui qu’il se décide parce que s’il ne le fait pas, Kistemaeckers le fera – & vite.

Je ne veux pas écrire à Gay pour des raisons que tu comprendras facilement, pas plus qu’à Kistemaeckers, du moins en ce qui concerne les livres légers, – Je ne veux pas que mon nom figure dans les saisies auxquelles ils s’exposent. Il faudra donc mon vieux Théo, que tu me serve de « correspondant » à ton tour. Cela sera embêtant mais je te « rémunererai » par les belles épreuves rares des eaux fortes que je ferai. – Il est bon d’ailleurs pour toi & profitable à tous égards que tu entres en relations intimes avec Kistemaeckers (fais la cour à sa femme par dessus le marché !!) homme actif, décidé, & qui n’a pas toujours l’air comme Gay de parler de l’intestin, avec une voix de feutre, & de regarder fleurir une vague tulipe dans son cœur. – Vous ferez des affaires ensemble j’en suis certain.

L’affaire Nys est capitale pour toi. Je vais te l’expliquer : Bruxelles est une ville – je la connais bien !! – où l’on ne fait quelque chose qu’en s’y remuant énormément. Alors on vous suit. Tu dois y vivre puisque tu y as ta mère, & un atelier en outre, que tu y es bien installé &c &c &c. Où la chèvre est attachée, le meilleur parti pour elle est encore d’y brouter & d’y gambader dans son tour de corde !! C’est évident. Il ne faut pas te laisser aller à l’espèce de ronronnement dans lequel je te vois un peu plongé ! – Certes je suis loin de te conseiller de quitter d’un quart de semelle en moins, une bonne & aimable petite compagne comme Dax Jeanne ! mais tu dois absolument pour ton progrès personnel pour ta réputation commencer « un groupe » ! C’est

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ce que je vais t’expliquer :

Il faut que tu fasses ce que j’étais arrivé à faire lorsque j’étais à Bruxelles, c’est à dire a être la tête ou à peu près d’un gros d’artistes qui s’est dispersé, moi n’y étant plus, mais qui cependant existait & eut produit, si je l’avais voulu & si des circonstances – excessivement fortuites ne m’avaient pas fait dérailler & ne m’avaient pas jeté par dessus la frontière. – Je ne dis pas que je m’en plains ! – Je constate. Il y avait déja des gens qui faisaient très bien comme Sturm de Gravesande & autres. – Il faut que sous n’importe quelle forme, vous organisiez une publication. – Soit en s’entendant avec Callewaert & de Roddaz en l’annexant à l’Artiste, soit en vous associant avec Nys tout simplement et Nys le fera avec plaisir et par intérêt personnel. – J’irai donner une Conférence pratique sur l’Eau forte au Cercle Artistique dans un mois, pour mettre les gens au Courant. Je crois que le moment est venu de relever l’Eau-forte. – En favorisant le développement de l’Eau-forte nous ferons vivre Nys, – en faisant vivre Nys et en aidant à l’installation sérieuse d’une imprimerie en taille douce en Belgique, nous pourrons avoir sous la main des éléments sérieux pour faire des publications variées où tu pourras développer ton talent d’écrivain & de peintre. Voilà ! Travaille cela, ne t’endors pas surtout ! Fais vite & il sortira quelque chose, si tu le veux avec obstination.

Qu’est ce qui t’empêche de faire toujours venir Nys. Il est évident que nous pourrons avoir toujours un subside. De cette façon Nys pourrait déja se mettre au tirage de ton volume (qui doit se hâter – ton volume – à paraître).

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À propos de Sturm de Gravesande il me faut son adresse. Il doit faire partie du Cercle ! –

Et chaque fois que tu en as l’occasion – (& tu tiens souvent l’occasion dans la main, seulement celle là n’est point chauve !!) n’oublie pas de célébrer par quelque sonnet – qui vaudra ton long poême ! – la Grande Déesse en des vers très libres – Le volume Léger ne doit pas être oublié ! Nous ferons un frontispice scandaleux ! – Nous trouverons un joli titre :

ou mieux

avec l’épigraphe :

Alors le St Esprit descendit sur leurs têtes et leur donna le don des langues

Nouveau Testament

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Si Nys doit venir à Bruxelles il faut qu’il soit installé pour le 1er Novembre absolument.

Et un groupe ! – Lynen & Hubert peuvent déjà être les premiers éléments de ce groupe. Si tu ne Connais pas Hubert je lui écrirai. Il faut une publication absolument monte cela comme tu l’entends, avec journal si cela se peut sans journal – n’importe comment !.

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