Numéro d'édition: 3504
Lettre de Félicien Rops à [Auguste Poulet-Malassis]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Auguste Poulet-Malassis
1825/03/16 - 1878/02/11
Lieu de rédaction
Bruxelles, 262 Avenue Louise
Date
1873/07/03
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
PU/LE/015
Collationnage
Publication
Date de fin
1873/07/03
Aucune image
Mon cher Malassis,
Je sors de chez cet animal de banquier qui se refuse complètement à escompter le billet que je me vois forcé de vous retourner, à mon grand regret. Mon crédit est dépassé de beaucoup et je ne trouverais pas cent francs chez un autre ; vous connaissez du reste comme moi la défiance des banquiers belges qui n'a d'égale que leur rapacité. Je sais bien, mon cher ami, que vous ne douterez pas de ma parole ni de mon désir de vous rendre service, mais pour vous prouver que ce n'est pas faute de démarches, mais parce que ce billet à escompter est arrivé dans de mauvaises circonstances, qu'il m'a été de toute impossibilité de le faire passer, je vous envoie les deux malheureux billets que j'ai dû payer le 1" juillet et qui ont été la cause de cet échec.
Si vous voyez un autre moyen de m'utiliser en cette circonstance, je suis tout à vous. J'ai bien regretté de ne pas vous avoir vu à Paris, je ne vous avais pas écrit, parce que je n'étais pas certain, à une semaine près, de la date de mon départ. Je travaille « effectivement » aux dessins de Goncourt. Dans une huitaine de jours, je vous adresserai même ces dessins, pour le faire transporter sur cuivre par le procédé Durand. Je compte graver ces trois cuivres en faisant usage de ce procédé afin de bien m'en rendre compte.
J'ai été bien ennuyé depuis trois mois que je ne vous ai vu, mon cher Malassis ; mon fils, en rentrant en classe, a été repris, au bout de quelques jours de travail, de maux de tête et d'insomnies tellement violents, que nous avons dû le retirer du collège et lui faire reprendre des leçons particulières. On craignait une méningite. Inutile de vous dire quels ennuis et quelles inquiétudes cette reprise de la maladie sous une forme nouvelle nous a donnés, heureusement cela n'a duré qu'une quinzaine de jours, et dès que le travail a été moins considérable la santé est revenue et le mauvais pas était franchi. N'importe, c'était une rude fondrière à passer.
J'ai loué pour le mois d'octobre un petit appartement à Paris pour y séjourner tous les mois du 1er au 15. Du 15 au 30, je travaillerai ici. La Vie moderne toujours est décidément fondée et payée ! La gestation a été longue, espérons que l'enfant sera viable et que les pères ne s'en porteront que mieux. Le mariage de Gouzien a été dans cette parturition difficile le dernier coup de forceps. Car, vous le savez déjà probablement : notre ami Gouzien se marie (les nymphes au tombeau d'Adonis !). Il épouse, ma foi, une charmante et grassouillette créole : Mlle Regnier. Le père vend je ne sais plus quoi à Paris et à Porto-Rico. C'est la famille des Hugo, Mme Charles et François, qui ont fait le coup, ou du moins qui y ont mis la main, et ils tiendront le bougeoir jusqu'à la consommation des choses ! Une bonne aventure pour Gouzien qui était absolument trop aimé par les exécutantes d'Offenbach, malgré la discrétion et la tiédeur qu'il apportait dans la réciproque. Cela lui mettra de l'eau froide dans son eau tiède et la glace s'en suivra, c'est la vraie température d'un monsieur qui veut être directeur d'un bon journal.
Que pensez-vous de Paris à l'eau-forte de Richard Lesclide ? Cela fait-il quelque argent ? Le petit Régamey ne manque pas d'une certaine habileté, sans pourtant troubler Romyn de Hooghe dans sa tombe. Et le Salon ? Nous causerons de tout cela à coudes reposés bientôt, car nous nous verrons sans tarder, j'espère aller au mois d'août à Paris.
Ici, pas grand'chose, la maison s'achève, comme toutes choses que l'on presse, très lentement. Liesse Henri, poète français, publie un volume de poésies châtaines sous ce titre :
Fariboles et Bagatelles avec 40 amourettes de Félicien Rops.
Ces quarante amourettes sont quarante petits amours gilliotypés en manière d'en-tête à chaque sonnet. Il procède par voie de souscription et je crois que, quand il en aura réuni un tas respectable, il a l'idée ambitieuse de présenter la chose à un éditeur parisien.
Hallaux chroniquifie toujours, Léonie Naza est enceinte du Saint-Esprit, Fréderickx de l'Indépendance jette le trouble au sein des familles comme feu Adonis ; Dubois s'est marié avec une dame qui le condamne à la cravate riche et à la frisure quotidienne. Il est encore loin de Brummel mais il se rapproche de Barbey ; et « cependant a, comme dit Toppfer, Leclercq continue à sauver la société, qui rechigne.
Ne viendrez-vous pas du tout, du tout, quelques jours en Belgique ? Il y a longtemps que vous nous promettez de revenir à Thozée et les saules de l'étang se joignent à nous pour vous montrer combien ils ont grandi et quel plaisir vous leur feriez en venant comme autrefois pêcher à leur ombre. Rien des chevaliers, malheureusement, pour nos fritures. Il y a ici une exposition hollandaise de chefs-d'oeuvre. Franz Hals en est le roi, c'est très beau.
À bientôt, mon cher Malassis. Mes bonnes amitiés à Fanny. J'espère que vous avez trouvé toute votre famille en bonne santé. Rappelez-nous au bon souvenir de madame votre mère et de M. et Mme de Broise. Ma femme et Paul vous envoient leurs compliments affectueux.
Je vous serre bien la main.
Fély Rops
Rond-Point, avenue Louise 3 juillet 73.
Détails
Support
Papier Deuil.