Numéro d'édition: 3071
Lettre de Félicien Rops à [Maurice Bonvoisin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23

Destinataire
Maurice Bonvoisin
1849/05/26 - 1912/03/27
Lieu de rédaction
Paris, 17 Rue Mosnier
Date
1877/05/08
Commentaire de datation
Datation sur base de l'apostille.Type de document
Lettre
N° d'inventaire
Bon/LE/12
Collationnage
Scan
Date de fin
1877/05/08
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops
Apostille
1877/05/08
Page 1 Recto : 1
Mon Cher Maurice
Mon Cher Mars
Monsieur Maurice Bonvoisin fils à Verviers
Car c’est aux trois personnifications de mon ami Maurice que s’adresse cette lettre « d’affaires » qui est pour moi d’une grande importance. Lis avec une attention commerciale, artistique & amicale, la proposition que je vais te faire. Commençons par le commencement. Tu sais que je quitte l’atelier du passage Ste Marie comme je te l’ai écrit, il est repris par mon vieux camarade Félix Régamey de l’Illustration de Londres lequel revient du Japon & de bien d’autres lieux. – Mais ceci n’est qu’une incidente – J’ai trouvé pour remplaçer cet atelier, qui n’était, ni dans un quartier convenable, ni convenable lui-même « un propriétaire bien disposé » – chose rare à Paris & possesseur d’un terrain rue de Constantinople, dans une admirable situation, près du parc Monceaux, voisin des ateliers Detaille Vibert, Meissonnier, Christophe, Duez de Neuville Berne Bellecourt &c &c ; enfin dans le vrai quartier-neuf des artistes qui s’intitule la nouvelle Rome. C’est une vraie chance. C’est une chose très
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avantageuse pour moi à tous points de vue d’avenir & de position. Tu connais cela comme moi, partout où l’on est, à Paris, à Londres ou à Bruxelles, il faut commencer par etre installé convenablement & Confortablement. Le susdit propriétaire me fait bâtir un atelier avec appartement, le tout faisant partie d’un petit hôtel qui n’aura que deux locataires moi & un autre peintre, & l’on donnera la préférence à un de mes amis. Donc tout cela est parfait. « Seulement » voici le « seulement » – le propriétaire ayant peu de fonds pour le moment me force à entrer pour une quote part dans la Construction de l’atelier, cette quote part a été évaluée à 10,000 francs. Il en voulait 12,000 d’abord, nous nous sommes un peu chamaillés & cela a été fixé à 10,000 francs. Le Contrat a été signé le 15 avril & je lui ai versé 7,500 francs. Je dois lui en verser 1,000 le 15 mai, 1000 le 15 juin & les 500 derniers le 1er juillet. J’avais alterné ces payements, parceque je devais être remboursé de cette façon d’une somme prêtée à un ami intime que tu connais, en quittant Bruxelles, il y a deux ans. Cet ami m’écrit qu’il lui est impossible de me rembourser cette somme avant le mois de mai 1878. Je sais que c’est un honnête garçon qui fait ce qu’il peut pour s’acquitter envers moi il a de la famille, ce serait une assez vilaine action de lui mettre le couteau sur la gorge, ce que je pourrais faire, mais ce que je ne veux pas faire. Il faut donc que je trouve cette somme « en moi-même » comme disent les banquiers, & tu vas voir
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ce que j’ai trouvé & ce en quoi tu peux me venir en aide puissamment, efficacement, tout en faisant une bonne affaire, tu me rendras un service absolu.
Je vais donc te parler comme à un vieil ami de dix ans ce que nous serons bientôt, & de plus ! – Il me reste de mes splendeurs passées une dizaine de mille francs de rente. C’est peu, mais enfin avec mon travail & mes gouts extrêmement modestes c’est l’aisance, Je te dis cela comme si nous causions en fumant une cigarette, – (Ah non ! tu ne fumes pas ! –) dans un coin des Champs Élysées assis sous les marronniers en fleurs & devisant de choses intimes. – On me croit riche ici, je ne le suis que très relativement !!! Cette pauvreté « relative » (et fort honorable pour moi puisque je pouvais – si j’avais été un mauvais drôle – manger jusqu’au dernier sol de la fortune de ma femme comme j’en étais le maître) – ne me gêne pas du tout, mais si je la dévoilais, toutes les rapacités d’éditeurs, de marchands de tableaux, tous les Burtyseurs & les Dallozistes en profiteraient pour me payer mes œuvres moins cher qu’ils ne les payent & m’exploiter d’une façon plus déterminée qu’ils ne le font. – Je ne peux donc demander ni à Lemerre, ni à Goupilaucune avance. – J’ai comme principe absolu de ne jamais demander à emprunter de l’argent à aucun de mes amis & je ne veux me départir de ce principe, qui est la base de toute bonne relation & la certitude de sa durée. Voila pourquoi Mon Cher Maurice je viens te proposer « une affaire » Et je vais te la développer :
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Je ne ferai pas naturellement mon propre éloge, mais je dois te dire que mes grandes aquarelles rehaussées de crayon de couleur fixé donc inaltérables, – (Et j’ai fait fabriquer exprès chez Gilbert des crayons de couleur spéciaux avec une base adhérente qui les fixe absolument,) ont eu ici un fort grand succès. Je suis loin du temps où je donnais tous mes dessins à Cadart pour 200 francs pièce. Cadart à vendu à Mr Royer 7. Rue Balzac, chez lequel nous pourrons voir une importante collection de Rops, 850 frs les deux dessins la lecture du Grimoire & le Gandin ivre, tous deux rehaussés de couleur. J’achève maintenant La Saisie une aquarelle-crayon, énorme dont j’espère avoir mille francs il y a trois personnages. Je t’ai dit les prix auxquels Dalloz a acheté mes derniers dessins & il en demande de nouveaux. Voilà donc la situation au point de vue artistique commercial & tu vois qu’elle n’est pas mauvaise. Voici ce que je te propose : Tu m’avanceras 2,500 frs sur ta caisse & pour ces 2,500 frs je te livrerai vingt dessins pendant l’année qui s’écoulera du quinze mai 1877 au quinze mai 1878. Voici les conditions qui je crois sont « acceptables ». je t’en fais juge.
1° Monsieur Maurice Bonvoisin fixera la dimension des dessins – (je me fie à toi je sais que tu ne m’ordonneras pas de couvrir le palais de l’Industrie.
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2° Monsieur Maurice Bonvoisin sera libre de refuser tout dessin qui ne lui plairait pas.
3° Le dessin dû, deja à Monsieur Maurice Bonvoisin & que Monsieur Rops exécutera pour la fin mai, servira d’étalon.
4° Ces dessins seront à moins que Monsieur M. Bonvoisin n’en décide ou ne le préfère autrement, des aquarelles rehaussées de crayons de couleur, – enfin des dessins ayant l’aspect de peintures.
5° Mr Maurice Bonvoisin verserait pour ce, ès mains de Monsieur Félicien Rops 1,000 frs le 14 mai 1877
1500 frs le 14 juin 1878.
6° Si après le premier versement de mille francs Monsieur Maurice B. était mécontent de son contrat & voulait le résilier / sur visu de l’étalon / Monsieur Félicien Rops s’engage à rembourser le 1er janvier 1878 les mille francs avancés par Monsieur Maurice Bonvoisin soit en espèces soit en huit dessins comme il est dit ci dessus à son choix.
7° Monsieur Félicien Rops demande seulement à MrMaurice Bonvoisin le droit d’exposer les vingt dessins. dans l’exposition qu’il compte faire de plusieurs de ses œuvres le 1er mai 1878 à Paris & à Bruxelles.
Cette clause naturellement ne regarde aucunement les dessins que MrMaurice B. aurait vendus.
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8 Monsieur Félicien Rops ne fera que des dessins d’une valeur marchande de trois cents francsau moins en prenant comme points de comparaison les deux derniers dessins vendus dans le mois de mars 1877.
Voilà à peu près les clauses du contrat Mon Cher Maurice, – Je crois que je n’ai jamais fait mieux que les choses que je fais depuis deux mois, & que tu peux faire six mille francs avec les dessins que je te ferai. Je veux bien faire l’affaire en t’assurant un beau bénéfice & en te remboursant avec intérêts plus cinq dessin à titre de remercîement & de compensation pour ta peine. Si j’avais des dessins faits tu comprends que je ne serais pas en peine. Mais à part cette « Saisie » qui est un sujet qui ne peut plaire qu’à certains amateurs quoique pas graveleux du tout – je n’ai pas de dessins faits & je ne veux demander d’avances à personne.
Tout est là : Demander à Maurice Bonvoisin qui est mon ami & qui me porte intérêt comme artiste – à ce que je crois, une avance qu’il peut faire, sur des dessins qui lui rapporteront de l’argent à mesure qu’ils seront faits ; lui laisser toute liberté d’acception afin qu’il n’achète pas chat en poche & qu’il voie combien
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je tiens en acceptant le service réel qu’il me rendra, combien je tiens à ce qu’avant tout il fasse une bonne affaire
Voilà Mon Cher Maurice l’affaire en question. Je n’ai pas besoin de te dire combien je serai heureux que tu la fasses. Je t’assure que tu ne t’en repentiras pas. – Je m’adresse à l’ami naturellement parceque tu n’es pas un commerçant, – mais je tiens néanmoins à ce que l’affaire – qui me tire d’un mauvais pas dans lequel j’ai été pris à l’imprévu & qui est fort désagréable, soit au moins avant tout réellement une belle & bonne affaire. Et cela n’empêchera pas de te garder un vaillant sentiment de reconnaissance crois le. Ce serait terrible pour moi de devoir
Rédige toi même le contrat comme tu l’entendras – ajoute, retranche, change ce que tu veux. Je suis ton homme & si tu acceptes comme je l’espère tu m’auras épargné ces atroces embêtements vis à vis des éditeurs & fait faire un fort pas dans ma carrière artistique
Je te serre bien la main & je compte sur ton amitié
Félicien Rops
17 Rue Mosnier.
T.S.T.P.
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Écris moi vite, je te répondrai tout de suite et en même temps je t’enverrai les renseignements demandés par ta dernière lettre.
À t.
Détails
Support
2 feuillets, 8 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
Photographie Vincent Everarts