Numéro d'édition: 2731
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
s.l.
Date
1884/01/07
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/468/151
Collationnage
Autographe
Date de fin
1884/01/07
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
Paresse belge
Aucune image
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7 janvier 1884
Mon Cher Vieux
Je ne sais pas si la Mère Doucé vient de me tirer une carotte, mais j’espère que tu pourras m’aider en cette affaire. Je vais te raconter la chose avec la rapidité de la flèche « lancée d’une main sûre » du bon Murger : L’autre jour, j’étais occupé à dépoter mes chrysanthèmes sans penser à mal, lorsque je vois débouler dans mon atelier la petite mère Doucé, retour de Bruxelles. Sur ma table s’étalait une collection très complète que j’allais vendre à un éditeur anglais pour 600 frs comptants, & 400 frs en billets sur Londres. C’était fin de mois, – besoin d’argent !! – – Combien cette collection demande la petite mère Doucé ? – 1000 frs « comptants ». Je l’achète dit la petite mère Doucé. – Cela me paraissait « prodigieux » ! Tu vas voir que cela l’était : – « Je viendrai demain vous payer & emporter la collection » – Je me hâte de rebâtir une autre collection pour l’anglais, je passe toute ma nuit à ce travail,
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et j’attends la mère Doucé. – Elle m’apporte 300 frs & me dit : « Je n’ai pu avoir la somme, mais je viens vous proposer un arrangement : Je vais prendre avec moi la moitié de la collection, vous enverrez l’autre moitié à un de vos amis Mr Léon Dommartin par exemple, & j’irai chez lui la prendre, cette moitié, contre 200 francs que je lui remettrai, & en outre je lui signerai à lui deux billets : l’un de 250 francs payable le 1er avril prochain & le second de 250 francs également payable le 1er juillet 1885 » – Ma foi, Mon Vieux, je me trouvais dans un moment où 300 frs font plaisir, – elle ne m’enlevait que la moitié de la collection, l’autre moitié restait en garantie. – De plus comme elle te faisait à toi deux billets, je pouvais la repinçer par ton entremise si elle ne payait pas ces deux billets – Sa proposition était donc acceptable & je l’ai acceptée. (Tu sais les formalités internationales pour les billets non payés, il faut faire des « provisions » à l’huissier, deposer la valeur de la somme pour laquelle on poursuit etc etc etc, cela n’en finit pas, tandis qu’en te signant à toi habitant Bruxelles, un billet à ordre, je n’ai qu’à t’envoyer quatre francs pour l’huissier qui lui flanquera un protêt aux fesses en cas de non payement). –
Donc j’ai donné à Mlle Doucé la moitié de la collection qu’elle a emporté avec elle. Je t’expédie 47 Rue d’Orléans l’autre moitié. Cette autre moitié Mlle Doucé ira la prendre chez toi contre 200 francs qu’elle te remettra & deux billets à ordre de 250 francs chaque, le premier au 1er avril, le second au 1er juillet 1885.
C’est entendu hein je t’envoie le modèle des billets.
De plus tu lui feras signer un troisième billet déclarant qu’elle t’a acheté une collection d’eaux fortes rares, dont le payement a été effectué moitié comptant & l’autre moitié en 2 billets à ordre à écheoir dans le courant de 1885. – Ce billet est le billet de garantie d’achat, il est inutile de le faire sur timbre Comme tu le vois tu n’as rien à risquer en me rendant ce petit service que je ne peux demander qu’à toi.
Cela ne peut comme tu le vois te causer le moindre désagrément. C’est comme
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si tu vendais à la grosse Doucé, une collection t’appartenant en propre, tout simplement.
Si elle ne paie pas ces billets, nous lui flanquerons un protêt de quatre francs comme je te le disais tout à l’heure, puis nous en resterons là. J’ai d’autres moyens de la repinçer sans frais. Puis elle aura toujours donné 500 francs ce qui fait que la perte sera moins sensible.
Pour tes peines, Mon Vieux, car il faudra peut être que tu ailles prendre la collection à l’Entrepôt, cela dépend de la fantaisie des douaniers, je vais te tirer une maîtresse collection que je te porterai dans un mois, car je compte filer pour Bruxelles vers fin février. Je dois être en Belgique à cette époque. Nous entrons à la Roche-Claire le 1er Mars. Je compte bien sur toi en mars ou février, – si ton mariage tient toujours, car il te faudra avoir prononcé dix fois le « oui » légal pour que tes amis y croient sans restriction, à ce mariage.
Je te souhaite toutes ces choses là « bonnes & heureuses », & j’embrasse ta bonne fillette. Rien de nouveau ici, on travaille. Nous voilà hors des baraques & des fêtes de Nouvel An & les marronniers
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des tuileries gonflent comme des phallus leurs bourgeons en cône. – C’est le printemps tantôt. La Seine a été superbe, & de l’Élysée Uzanne les peupliers du Coudray inondés faisaient un joli paysage. Les locataires de Roche-Claire font leurs malles, j’ai revisité cette porte-conciergerie. C’est bien drôle & si le diable me prête quelque sous tu verras que l’on peut en faire quelque chose. De là, la vue est étonnante, les deux tournants de la Seine sont au pied & cette maison domine tout le pays, si l’on peut appeler cela « une maison ». J’espère bien t’y voir en ce coin là. Tâche de ne pas trop attendre. Si tu laisses ta femme « s’enpoppulariser » à nouveau, tu ne te tireras pas de cette famille à tentacules ouatées, & en 1900 tu seras endormi dans le Journal de Bruges. Quand on doit faire quelque chose, le mieux est de le faire vite. C’est vieux mais il n’y a que cela de vrai. Et Edmond ? Je lui ai écrit, il ne m’a pas même répondu. Encore un d’enlisé dans les sables de la patrie. Ah ils ont bien raison
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là bas de tâcher d’avoir un Congo pour pouvoir filer. Il y a au Jardin d’acclimatation une niche pour les « Lapins Flamands » ils sont là 300 dormant, massés les uns contre les autres, gras & immuables. C’est la Belgique. Cependant les lapins me paraissent avoir plus d’idées. C’est le séjour de Paris. –
À toi Vieille badrouille
Ton vieux
Fély
Si la respectable Doucé ne vient pas comme je te l’ai dit je reprendrai moi-même la machine. – Préviens chez toi que s’il arrive un colis pour toi, tu dois l’ouvrir toi-même. Inutile que les dames admirent.
Détails
Support
2 feuillets, 6 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR