Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]

Page 1 Recto : 1

Mais c’est toi « l’inondeur » pour le moment ! – Je ne m’en plains pas note bien. – Ta lettre ne demandait pas un brin de réponse ! – Elle est là sous mes yeux s’étalant en ta belle écriture lisible que je donne toujours en exemple à ces coupeurs de pattes de diptères qui s’appellent Liesse & Lemonnier. – Lemonnier désesperera les Champollion de 1980 ! Je lis ses lettres avec ma grande loupe à pointe sèche & je n’y découvre que des paysages lunaires, à la plume ! C’est une blague, il n’écrit pas ! il fait tracer des fantaisies par son jeune fils agé de sept mois, sur du papier, ou il a un hanneton privé qu’il trempe dans son encrier & qu’il lâche sur les feuilles blanches ! C’est inouï. J’ai une lettre de lui depuis quinze jours & je n’en peux déchiffrer un traitre mot ! – Donc j’ai là ta lettre ! et il n’y a pas le moindre point d’interrogation ni la moindre invite à réponse. Tu auras rêvé me demander quelque chose. Dans tous les cas, réponds, si tu attends une réponse à ce « quelque chose », seulement dis-moi quoi !! Je t’assure que c’est nécessaire.

Ta lettre était du 10 janvier 1881.

J’allais t’écrire pour le plaisir de

Page 1 Verso : 2

t’écrire lorsque j’ai reçu ton billet d’hier, billet non terminé, tu auras du oublier une page car ta lettre finit au bas de la deuxième page sur le mot « Lundi » sans se terminer. du moins cela m’a fait cet effet là. – Je t’envoie par Taëlemans tapissier royal – (ce que deviennent mes élèves – hein ?) une eau-forte qui était destinée à Kistemaeckers, mais ce Flamand ayant été un peu trop Belge avec moi, je l’ai prié d’aller voir en Belgique si Slingeneyer s’avançait & j’ai gardé ma planche pour moi. Je continue encore avec Gay & je lui fais une dizaine de planches très drôles. – Je t’inscris sur mon livret d’envoi pour mes eaux fortes. Tu vas acheter je t’y oblige ! une belle portefeuille, comme disait ma professeur de français Mlle Bodart (celle qui disait : Épélissez mon coq !). Tu colleras légèrement chaque épreuve par un seul côté, le coté de droite parce que dans le portefeuille on prend généralement les épreuves avec la main droite. – Les gravures en longueur sont collées de la même façon mais en haut ce qui fait qu’elles se mettent toutes dans le même sens dans le portefeuille & qu’il n’y a jamais de pliage d’épreuves.

Page 2 Recto : 3

tu inscris sous la gravure le sujet de la gravure & l’état. Tels sont les us & coutumes des Collectionneurs. Si tu n’y tiens pas réellement, je ne t’enverrai pas régulièrement ce que je ferai. Parce que je suis réellement embêté de voir combien peu, mes amis anciens (pas toi !) ont eu de soins pour les eaux fortes nombreuses dont je les ai accablé. Cela est allé au diable. Or le nombre des épreuves accordées par l’éditeur est plus que restreint : une douzaine, à vos frais. Or il faut : aller soi-même chez l’imprimeur Salmon 187 Rue St Jacques, – attendre que « les autres » aient fini : les compères qui fument autour de la presse aux épreuves d’essai. – Ne tirer que trois épreuves à la fois afin que tout le monde ait son tour ! Faire l’envoi des épreuves &c &c. Cela n’a l’air de rien & c’est pour trois épreuves une journée au vent & pas pour s’amuser !! Voilà pourquoi je demande qu’on collectionne si j’envoie. Cela te coutera 25 centimes de Bristol blanc par épreuve & un portefeuille de soixante sols. – Quand j’irai à Bruxelles j’irai constater si mes raretés, car ce sont d’extrêmes raretés ! sont en ordre ! – Pour les épreuves chiffonnées, remouiller légèrement au dos avec une éponge fine et mettre sous cartons avec les œuvres de Buffon par dessus. les épreuves au bout de trois jours seront tendues comme la question d’Orient.

Page 2 Verso : 5

J’ai cessé mes envois à ceux qui foutent ça dans des coins avec des vieux nos du journal Amusant & des dessins de Mars & de Draner. J’ai mes orgueils que tu comprends, comme je n’en ai pas des masses, je tiens à ceux que j’ai. Donc je te range parmi mes collectionneurs, hein ? – Mais sois sérieux devant l’eau-forte !! Bonvoisin refuse 20,000 balles de la sienne – de collection ! – comme dirait toujours feu Mlle Bodart.

Ici rien de bien nouveau. Jack quoiqu’ait dû t’en dire ce bon De Roddaz qui grinchait aux 3e galeries, est un bon succès & la pièce tient bien. Nana est déplorable ! – Une berquinerie, une berquinpanade, – Bien joué par Massin cependant. Nous sommes sortis de la répétition de Nana à 3 heures ½ (sic !) du matin ! Il faut que tu viennes entendre Gung’l à l’opéra. C’est très bien. Je l’avais entendu à Munich l’année dernière. C’est autre chose que Strauss. C’est moins brillant et plus intéressant à mon avis. Je te préviendrai si tu veux des jours de Gungl’ – les parisiens disent les jours de Junglard ! – & je t’aurai des cartes. – C’est très couru. Godebski est à Florence & vient de m’envoyer la photographie de son groupe : un Satyre & une jeune fille. Cela me paraît très bien. Cela va abouler de làbas pour l’Exposition de mai. Si tu veux venir de l’hiver le moment est bon : Gung’l : – Nana – Jack – la princesse de Bagdad – Michel Strogoff, – Exposition de l’Art – Exposition de la Crèmerie (le cercle Artistique.) &c &c. Pauvre vieille Adèle ! Il faudra que je m’acquitte envers ces gens là, mais les tuiles imprévues arrivent & l’on ne fait pas ce que l’on veut. J’en ai eu une dure, je te raconterai cela ou plutôt Taelemans te la racontera. – Ci-joint un modèle pour tes épreuves

Naturellement tu ne mets qu’une épreuve par feuille de Bristol

Page 2 Recto : 6