Numéro d'édition: 2313
Lettre de Félicien Rops à [Edmond Picard]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Edmond Picard
1836/01/01 - 1924/01/01
Lieu de rédaction
Paris
Date
1887/03/01
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
ML/00631/0050
Collationnage
Autographe
Date de fin
1887/03/01
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature
Page 1 Recto : 1
Paris le 1er mars 1887
Mon Cher Picard,
Envoyez La Tentation de St Antoine, si vous voulez ; cela me fera même plaisir. Quant à l’Attrapade, c’est une œuvre qui a vieilli beaucoup plus que le reste. Dans vingt ans ces modes là seront oubliées, mais pour l’instant, elles ne sont que « démodées » & même grotesques, comme toute mode passée, & qu’on a connue. Il faut du temps pour que cela devienne de « l’histoire » !
Je compte exposer, (si la Société de l’Art Indépendant m’accorde jusqu’au 12 Mars pour « envoyer ») à Anvers le dessin du frontispice du livre de Rodrigues : L’eau Forte. dessin assez curieux, & qui je crois vous intéressera. C’est plutôt un vaste croquis, qu’un dessin mais tel quel, il me parait
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d’une bonne vibration. J’ai mis la main sur un modèle extraordinaire, qui pose comme une momie, & ne se galvaude pas dans les ateliers, – rare ! C’est une femme qui pose par amour de l’art, qui m’a écrit, la première, qu’elle ne redoutait aucune pose, qu’elle avait vu une collection de mes œuvres, & qu’elle voulait rester dans la mémoire « des mâles de son temps » ; – textuel ! – ce n’est pas bête pour une fille qui il y a trois ans ramassait du crottin de cheval sur les routes du beau pays de France ! Plus je vois, & plus l’étonnante faculté d’assimilation des femmes d’ici, me renverse : Voilà une grande gueuse, d’une beauté qui n’a qu’un défaut : celle d’être un peu classique, – vous savez mes goûts pour la nudité dix neuvième siècle, – qui roule de saltimbanques en gandins, depuis trois ans, & qui en trois ans a le nez de toutes choses, s’exprime en bons termes, mieux qu’une femme de ministre des beaux-arts chez nous, & se flanque les jambes en l’air, pour faire œuvre de collaboration avec un artiste, dont, personnellement, elle se fiche comme de sa virginité. Jamais je ne m’habitue à ces phénomènes. Mais comme cela nous fait aimer ce Paris oùtout se trouve ! Regardez le dos de la femme dans ce petit frontispice, assez creux, des Notes d’un Vagabond de Léon Dommartin ; pendant qu’elle posait pour ce dos de bête, car elle a un dos de bête musculeuse, elle me disait : un beau Barye, hein « mon dos, quand je vois un tigre de Barye & que je regarde mon dos dans une glace, c’est la même chose ! » – Si elle avait roulotté les ateliers cela se comprendrait ! mais personne ne la connaît, & elle vit des rentes que doit lui faire un Syndicat de vieux. Je collectionne quelques braves filles à l’aide desquelles, je tâche exprimer ce que voudrais exprimer ! Quel sale métier Mon Cher Ami, & ce métier de peintre m’es-t-il le premier degré de la folie ? – Je vais là !
Les Indépendants d’Anvers, pour y revenir, m’écrivent pour me demander
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de leur permettre d’exposer la Pornocratie. Accordé de grand cœur. – Donc ne croyez vous pas que la Tentation, la Pornocratie, & « l’Eauforte » suffisent ? – Jugez cela vous-même, mais je me défie de votre indulgence Mon Cher Picard, elle est dangereuse ! Il faut que vous deveniez plus sévère pour moi, c’est un droit que me donne votre amitié, & à mon tour, je l’invoque.
À propos, si la composition du N° de l’Artiste où se trouve ma lettre n’est pas anéantie, je vous prierai Mon Cher Picard de dire à Mme Veuve Monnom, de m’en envoyer trente Numéros avec la facture (, à prix d’artiste !)
Il y a un tas d’amis qui me la demandent. – Je vous remercie de la complaisance que vous avez mis à la publier. Je ne m’attendais pas à cet honneur, sans cela j’aurais dit plus !
À bientôt Mon Cher Picard & recevez mes meilleures amitiés
Tous mes affectueux & respectueux compliments à Mme Picard.
Félicien Rops
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P.S.
Mon Cher Picard je veux bien vous envoyer tout ce que je fais, mais à une condition c’est que vous m’enverrez tout ce que vous faites ; Ah !!
J’ouvrirai le feu, Monsieur l’Anglais, mais vous répondrez, & ma poudre ne s’en ira pas aux moineaux.
Notez, que je vous ai demandé avec insistance, l’Amiral, que j’ai dû lire chez Uzanne. Ce qui ne m’a pas empêché d’ailleurs d’admirer beaucoup de choses, & entr’autres la terrible & héroïque figure du Norwégien blanchâtre dans la nuit du Cap Horn.
L’île de Chiloë ! chaque fois que je trouve dans mes collections botaniques, une plante de labàs, de cette île de Chiloë, où il en pousse de si bizarres, je pense à vous, & au Norwégien jetant ses vêtements à la mer, & sur lequel il neige comme sur un
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mont ! C’est très beau cela !
– Et je songe à l’île de Chiloë à la hauteur de laquelle, le navire se rentoile.
N’importe bien difficile à conserver ces plantes Chiliennes, à l’air libre, en France, mais comme elles vous paient de vos peines !
À propos dites un peu à vos correcteurs, pour une autre fois, de ne pas me faire dire :
Ridiculis
Pourrez vous lire tout cela ?
C’est de l’hiéroglyphe ! & les Égyptologues du Louvre y perdraient leurs lunettes. –
Péladan est à Marseille où il félibrige.
À. Vous
F.R
Détails
Support
2 feuillets, 6 pages, Lisse, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
AML