Numéro d'édition: 2822
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Paris, 17 Rue Drouot
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/469/9
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
travail
Page 1 Recto : 1
Paris Drouot.
Mon Cher Vieux,
Est ce que je peux m’imaginer que tu vas faire de La Louvière ton quartier général !!! C’est parfaitement idiot ce que tu m’écris là ! Je croyais que tu allais à La Louvière comme tout le monde pour un jour, naturellement. – À moins que tu ne sois amoureux d’Anna Boch ! – J’ai été moi seulement à Douvres & je suis revenu. Nous sommes en plein coup de feu de travail tous ! J’ai fait de merveilleux dessins & j’en fais d’autres ! Tout le monde est dans la fièvre du travail, cette bonne fièvre d’ici & qui n’existe qu’ici ! Les soirées n’en sont que plus animées & plus nerveuses. Bref on s’amuse fort, en travaillant le jour & en devisant joyeusement en dîners « fins » le soir.
– Cela vous remet des gueuleries Belges. Il y a un phénomène qui se passe chaque année : Je quitte Heyst en octobre, en me disant je vais revenir, et une fois pincé par toutes les délicatesses d’ici, je ne me sens plus le courage d’aller
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Bruxelliser, Lalouvièrer ou Roulerser. On ne vit pas avec les qualités des gens on vit avec leurs défauts ! Que veux-tu faire dans un pays où tout le monde est raisonnable & bêtement & platement !!! Je ne peux plus vivre là ! et la nature n’est gâtée partout par l’animal qui y joue les avant-plans ! – Et cette bête là n’est pas amusante ! En France L’être marche avec le sol. comme notre vieux vigneron de Montigny comme mon paysan de Montlignon le père Rochery ! & comme l’homme a pour moi autant d’importance qu’un arbre dans la nature je m’en inquiète, fichtre !
– Mais je ne t’ai plus écrit parce que le coup que je craignais est arrivé !!
– Seulement je l’avais prévu, préparé & paré avec une maëstria qui m’est propre en matière féminine.
Un conseil pour tes lettres : Tout être civilisé se fait suivre par ses lettres quand on a quelqu’un qui s’intéresse à vous. C’est très simple : on écrit au directeur de la poste de Bruxelles : « Mr je suis là » et là, le lendemain « sans formalités » (!!!) qui n’en finissent pas, comme tu le dis, on a ses lettres.
– À moins d’avoir une feuille de vigne sur le bas ventre et d’être né à Nivelles on connait ses choses là, & surtout on les pratique lorsqu’on est comme toi, sans domicile ou à peu près.
Je ne sais quand j’irai à Bruxelles en janvier ou février peut être, Paris est
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délicieux par toutes ces rentrées. Puis les pièces nouvelles : (demain Catulle Mendès à l’Ambigu), les livres nouveaux, les hommes nouveaux. Il y a un être Baudelairien nommé Rollinat qui est d’une bonne jouge ! Puis le travail ! le bon travail qui vous tient heureusement & empêche la main & l’esprit de se rouiller & soumet le rêve.
– Tu devais venir en Novembre aussi toi, que vas-tu faire ? – Continuer à ronronner la bàs & à chroniquer pour l’esbaudissement des gens de Soignies. C’est peu, & petitement limiter tes ambitions & tes bonheurs.
Je n’ai plus parlé de toi à Marie Bonvalot qui garde comme tout le monde le silence à ton endroit. Nous allons demain par ce doux soleil qui nous fait un si beau « St Martin d’automne » exécuter avec elle & les mignonnes une grande promenade à Montlhéry & dans les bois de Marcoussis. Une vacance en semaine ! Quelle joie. Rien donc de nouveau de ce côté : Notre ami Uzanne la connaît & il est de mon avis : « Si j’avais le bonheur à l’âge de Dom de pouvoir avoir une petite femme de cette tête & de cet aspect là, je serais très heureux de me faire une seconde jeunesse ».
– Voilà son opinion. Il croit d’ailleurs comme moi que tu ne veux pas te marier, ce qui t’excuse ; & que tu es pris à chaque printemps d’un rut matrimonial qui s’évapore avec les beaux jours. Voilà tout.
Au fond je te plains fort. Tu finiras par épouser Anna Boch qui te fera cocu avec des paysagiers. Et quels tristes érections ! & pas de joli téton ! – Enfin il est dans ta destinée d’être un rateur & un fruit sec de mariage ! Seulement avec cet esprit là on rate son bonheur & l’on prend la torpeur du célibat pour la tranquillité.
Puis l’égoïsme des vieux s’en mêle & la peur de ci, le peur de cela, toutes les lâchetés.
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Quant à moi Mon Vieux, je préfère tout à « l’endormement ». Plutôt s’user que se rouiller dit notre héroïque Barbey. J’ai diné avec lui : il a quarante ans ou plus & quel esprit ! Je veux être comme lui. – Son livre a un succès énorme : Sans nom & c’est toujours très crâne !
À toi Vieil
Fély
– Quel dommage de ne pas t’être marié & quel bons ménages joyeux nous aurions pu faire ici !. – Franchement sous prétexte de « sagesse » je te trouve d’une sottise !!!!
– Il y a ici une merveilleuse exposition restrospective, un monde inconnu, des merveilles « désenfouies ». Si cela te tente, comme archéologue.
Que devient Edmond. J’ai vu Liesse qui est venu dîner chez moi – rien de nouveau.
Embrasse notre bonne Émilie pour moi & pour Clairette, qui est déjà à moitié anglaise.
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR