Numéro d'édition: 2788
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
s.l.
Date
1888/07/10
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/468/209
Collationnage
Autographe
Date de fin
1888/07/10
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
Touraine
Page 1 Recto : 1
10 juillet 1888
Rassure-toi : ton « Hôtel St Phar vit toujours ! Tu retrouveras comme j’ai retrouvé hier la même bonne qui n’est jamais là, le même garçon un peu gris de la veille & mettant dix minutes pour tâcher de vous comprendre, après vous avoir fait errer dans des corridors sonner à quinze sonnettes dans cet hôtel au bois dormant. Et tout cela orné comme les cabinets de Société de Ménilmontant où vont s’ébaudir les sargots de la Garde Républicaine, & accompagné d’un parfum spécial à cet estimable hôtellerie, composé d’extrait de lieux, de rinçures des plats de la veille, & des dégobillages d’antan. Ah ! tu n’as pas le nez creux pour vivre là ! – Enfin c’est un goût ! Tu paies aussi cher qu’au Grand-Hotel ou qu’au Continental d’ailleurs. Rassure-toi donc Mon Vieux, le délicieux St Phar vit toujours !! Quant à Brébant, le restaurant n’est pas encore transformé en « Bouillon ». La maison a l’aspect sale & un peu désolé,
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le client est rare, la nappe moins fraîche, le maître absent, mais enfin c’est encore « Brébant », & cela n’est pas « fermé ». Il paraît que c’est le chateau de Dives qui a couté trop gros & qui a fait tout le mal. Ajoutons-y les 2,000 gobergés de lettres qui ne payaient qu’en rêve.
Mais Mon Vieux, nous ne demandions pas mieux que d’aller au Coq le 1er juillet comme nous avait invités ce bon Passabonmachin consul de je ne sais plus quoi ! Le 1er juillet ! Nous avons attendu l’invitation, & comme elle n’arrivait pas nous avons tiré nos grègues, vers de plus doux pays. Gouzien est allé à Montigny-sur-Loing chez Mme Leclanché qui a labàs un nid à fleur d’eau caché sous les grands platanes & à hauteur des nénuphars ; & moi, je suis parti pour Vendôme & pour la Touraine :
Dig din don
La chatte à Miton
Son chien, sa vache, sa femme & son cochon :
Tout chante
Tout chante
à la maison !
–
Orléans
Beaugency
Notre-Dame de Cléry,
Vendôme
Dig din don
Vendôme !
Vendôme !
dôme !!
voilà les cloches de Vendôme ! Ah mon ami quel pays ! Et j’ai pensé à toi, – labàs à Trooz, sous la tonnelle perdue dans les vignes, en buvant le bon vin de Trooz pétillant & mousseux sans artifice, qui vous jette au cerveau des gaietés sans pareilles ! La tonnelle est dans le rocher en pleine montagne, & de là on voit Le Loir, quitter Château du Loir pour aller embrasser d’un joli méandre arrondi comme un bras d’amoureux le « Château de « mamie ô gué ! ». Est ce un joli nom ? Plus loin les ruines de Lavardun, et partout les pampres qui s’accrochent &
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se tressent en couronnes pour orner les fronts rocheux de ce sol bienaimé. Les lauriers et les figuiers dégringolent jusqu’au bord de l’eau. Et l’on écoute les « bons devis » dis en si belle langue !! De tous les pays que j’ai visités, il n’en est pas de plus doux au cœur & à l’esprit que cette vieille France. C’est inexprimable. Les femmes au tétons résolus sourient sans vergogne au voyageurs, les hommes vous prient au « coup de pichet ». Il y a là un rayonnement de belle vie, saine, pleine, vraie qui ne s’analyse pas qui s’épreuve. C’est du Soleil.
– Été à Chenonceaux, l’adorable chose ! & comme cette merveille de Chambord parait maussade à coté de cette Élégance. Et l’affreux pays, en sortant de la Touraine ! Voilà que j’entreprends pour la 3e fois cette terrible route de Blois à Chambord & toujours je la trouve plus affreuse. – À Tours j’ai « retrouvé » le château de Plessis-lez-Tours. Il en reste une fort belle façade. C’est un entrepôt de vidange.
Je ne sais guère ce que je ferai après ce mois-ci, mais très certainement vers le 1er Septembre je serai à la mer en Belgique. Où seras-tu ? – Impossible d’aller
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le 15 à l’inauguration du Coq. Le 14 c’est le 14 « juillet » & l’on se disperse au loin pour 8 jours ! Chacun doit 8 jours à sa famille.
Je ne t’ai pas donné de nouvelles puisque tu avais dit à Octave Uzanne, que tu « allais venir ». D’ordinaire, tu ne manques pas ton mois de mai parisien, & tu as raison, c’est un retrempage moral. Je ne retournerai probablement en Amérique que l’an prochain. Trop d’ouvrage ici & trop sérieux. Mais en 1889 je vais presque San-Francisco. J’apprends l’anglais pour pouvoir jaspiner à l’aise. Donc si le diable me prête vie : 1889 : San Francisco, & 1890 : Buenos Ayres Le volume : Strange America paraîtra en même temps à New-Yorck & à Buenos-Ayres. J’ai déja donné cinquante deux croquis.
As-tu l’adresse de Liesse ? Je t’envoie cette lettre pour lui très urgente & très pressée.
À bientôt Mon Vieux, j’embrasse toute ta Chère famille & je bénédictionne ton fils. À toi bien
Fély
Préviens moi, comme je retourne aux champs deux jours à l’avance de ton arrivée.
Détails
Support
2 feuillets, 5 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR