Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]

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Je ne sais pas si tu en avais très Conscience, mais tu m’as écrit une singulière lettre ! Tu avais l’air furieux – contre moi, – de ce que dans l’article d’ailleurs stupide & mal écrit, que l’affreux Champsaur m’a consacré, il avait omis de citer ton nom. Est ce ma faute à moi ? Je le lui ai reproché, – par lettre, & vertement. Il m’a répondu qu’il avait oublié ton nom. J’ai répliqué que s’il avait lu simplement la préface il eut pu se le rappeler. – « Je n’ai pas le temps de lire les livres, je ne peux que le parcourir au galop. On m’en envoie trois ou quatre par jour » – Même jeu pour Cassiers, car non seulement je lui avais demandé de te faire une forte réclame, mais encore de ne pas oublier le jeune Cassiers parce que celui ci voulait venir à Paris. – Rien de tout cela !! J’ai fait ce que je devais faire pour ton livre & pour toi. Je ne peux pâtir des omissions voulues ou des petites méchancetés du sieur Champsaur.

Et ta mauvaise humeur se manifeste jusque dans la fin de ta lettre : tu m’écris : je « pars demain pour Herbeumont avec ma fille, Brouff !! c’est décidé je te préviens.

– Nous étions convenus que tu m’écrivais quelques jours à l’avance le jour où tu devais aller

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en personne, « faire les conditions » ce sont tes paroles, puis m’as-tu dit, j’y retournerai pour aller installer Émilie. Voilà ton texte, il a changé. J’étais justement libre cette semaine, un mot de toi, & je t’aurais rejoint. C’est peu gracieux, avoue le.

– Oui Mon Cher Léon, l’article de Champsaur est un ramassis mal écrit des légendes qui trainent sur moi à travers les rues de Paris, mais tels qu’ils sont ces articles font « vendre mes eaux fortes », ce que les articles graves & authentiquement vrais, & rendant un Rops plus vrai que nature, ne feraient probablement pas. Les articles d’amis intimes sont toujours mauvais, & j’en ai eu souvent la preuve. Uzanne, dans un article a trouvé utile un jour de s’extasier sur un prix fort minime auquel des dessins de moi s’étaient vendus Salle Drouot, exactement comme s’il eut dit : voyez un peu le prix exorbitant auquel atteignent des dessins aussi médiocres ! L’autre jour croyant me faire une réclame il disait que Buhot & moi, nous étions les deux graveurs les plus « ficeliers » de Paris, comme exécution ; – c'est à dire que nos gravures ne s’exécutaient qu’à l’aide de ficelles » le contraire de ce qui est et de ce qu’il fallait dire !! Dernièrement dans une réunion, le bon Gouzien disait à un Monsieur qui lui demandait : Rops a encore de la fortune n’est ce pas ? – « Plus un radis !! il a mangé joyeusement cinq cent mille frs !! » dit le bon Gouzien. – Le résultat de tout cela, c’est que Conquet m’a mis sous le nez l’article d’Uzanne pour me diminuer le prix d’une affaire de croquis, qui était fort avantageuse ; & que les excellents renseignements de notre ami Gouzien étaient donnés à un notaire de Valenciennes, qui a failli & fortement failli à cause de ce simple propos, ne pas m’avancer l’argent dont j’avais besoin pour acheter la Roche Claire qui passe en vente le 20 par saisie de créanciers, – une forte tuile pour moi. – Si tu fais un « Rops » tu éprouveras comme tu le dis de faire « un Rops que tu connais » & de rouler Champsaur sur mon dos. Inutile ! ton article ne me fera pas vendre une collection, au contraire. Celui de Champsaur près duquel le tien serait un chef d’œuvre de langue & de bon sens & de vérité & d’exactitude, m’enpêcherait d’en vendre très probablement. Donc si j’ai un service réel à te demander : ne souffle pas mot de moi, si tu veux m’être agréable. Je te le demande en vieil ami, ce n’est pas grand chose que je te demande. Tiens toi coi littérairement, de la plume & du bec ; scribalement & verbalement aussi ! je te prie. Ce n’est pas grand chose que je te demande là. & si je te le demande, c’est que c’est sérieux & important, de première importance ! Cette affaire la Roche-Claire me renverse, comme bien tu penses, c’est une tuile

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comme je te le disais qui a la dimension d’une dalle. Et le poids ! Enfin, j’ai la tête dure, et peut être en sortirai-je !! Je travaille à toutes sortes de choses pour en sortir. Un autre flanquerait là tout. Ah ! c’est ici qu’il ne fait pas bon rêvasser ou veuler à la Carlier ! Donc pas un mot sur moi. À un moment donné je te prierai de dire de moi certaines choses aussi, mais juste ce que je te demanderai de dire.

Que veux-tu je connais mon public, voilà dix ans que je n’ai jamais un sol sérieux, et je suis résolu à employer pour me mettre à ma place & à ma vraie place les simples moyens qu’emploient les sots pour se mettre à la place des autres ! Voilà tout. Et surtout à laisser dire sur moi tout ce qu’il plaira aux hommes d’esprit ou aux imbéciles de dire. Mais : pas à mes amis ! Et pour de fortes raisons.

Ton livre a été lu par beaucoup & bien lu ; tout le monde n’est pas le Champsaur ! Bonne rentrée & surtout bonne planche pour en ranger de nouveaux à la file. Écris moi quand tu comptes retourner à Herbeumont. Si j’y allais je te télégraphierais, mais je ne crois pas pousser jusque là, mais j’irai faire un commencement de Semoy du coté de Bohan & de Vresse.