Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]

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je rentre de la mer. Quand je t’ai écrit j’en étais malade, de ce besoin de mer ! Impossible d’y tenir plus longtemps ! J’ai décidé Uzanne & nous sommes partis fuyant le 14 juillet, & aspirant au flot. Nous avons pris un de ces bons billets de 45 frs, aller & retour, & nous sommes partis pour Dieppe avec l’intention formelle de nous rendre compte de ce tas de nouvelles plages établies depuis six ans & plus, de Dieppe à Cherbourg ; – résolus à nous faire véhiculer le plus loin possible pour les modestes 250 francs qui garnissaient nos poches, & décidés à ne pas passer une fissure de falaise ni une Cabine de bain. Ah ! c’est déja la première grosse besogne de ton : Guide Général du Littoral Français « ébauché »

– Et nous en avons bien parlé de ce Guide absolument demandé ! Quatre ou 5 volumes !: 1er volume : Les plages

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du Nord : Rosendael, Mardyck – Calais – Wissant – Ambleteuse – Wimereux – Boulogne, – Le Portel – Étaples – Berck Le Crotoy – St Valéry sur Somme – Cayeux Ault – Le Crotoy.

2e volume : les plages de Normandie ! Le Tréport – Tocqueville – Penly – Dieppe Pourville – Quiberville – Veules – St Valéry en Caux – Veulettes – Petites Dalles – Grandes Dalles – St Pierre en Port – Fécamp – Grainval – Yport – Vaucottes – Étretat – St Juin – Ste Adresse – Le Havre – Villerville – Trouville – Deauville – Houlgate – Beuzeval – Dives Cabourg – Le Horne – Ouistreham – Lion sur mer – Luc sur mer – Langrune – St Aubin sur mer – Courseulles – Arromanches – Port en Bessin – Gd Camp – Barfleur – Cherbourg – Amonville – St Pair – Carolles – Granville

3e vol. La Bretagne !

Cancale – Paramé, St Malo, Dinard St Enogat – St Lunaire – Dahouet – Pleubian – Lannion. Roscoff – Trémazan – Ouessant – Brest – Douarnenez – Audierne – Penmarck – Loctudy – Concarneau – Pont-Aven – Île de Groix – Quiberon – Port-Navallo – Le Croisic.

4e volume ! Les plages du Golfe de Gascogne !

Pornic – Noirmoutier – St Gilles sur vie – Les Sables d’Olonne – L’Aiguillon. Ars en Ré – St Martin en Ré – La Rochelle St Denis en Oléron. Royan – Soulac – Arcachon – Bayonne, Biarritz St Jean de Luz.

Et note qu’il y a des baigneurs sur ces gd plages ! C’est une rage !!

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Nous sommes donc partis de Dieppe. Ostende ayant copié le Casino de Dieppe, celle-ci en a construit un nouveau presqu’aussi laid que l’ancien. – De Dieppe à Pourville, que tu connais, celèbre par le séjour de Bérardi & de Mlle Pierson. – de Pourville, nous enfilons la falaise & nous tombons à Quiberville, nouvelle station « enfoncée entre deux falaises sur le bord d’un ruisselet ; de là, par les terres & les belles fermes normandes » Suivant encore » sous les pommiers la grand’route de Normandie » nous passons par Veules, nous fuyons Maquerie & Varice, & nous arrivons à St Valéry en Caux, joli port mélancolieux. Nous reprenons la falaise : Veulettes, & nous nous arrêtons dans un délicieux bouquet d’arbres, un coin vert, une eau verte, belles falaises, c’est petites-Dalles. Nous y restons deux jours & nous y célébrons la fête nationale. À côté : grandes Dalles, non moins joli, puis une toute nouvelle machine : St ; enfin : Fécamp. superbe comme cirque de grandes falaises. Filons : Voici Grainval, pour les petites bourses de Fécamp, Yport près d’une forct, – Vaucottes, & Étretat. Ah si Alphonse Karr revenait ! Étretat, c’est le boulevard Malesherbes ; toutes les prosternées de la Compagnie Immobilière sont là ; faisant leur galet. Il n’y a plus une maison du vieil Étretat. Plus une m’entends-tu ? Fichons le camp : Nous voici à St , chez la belle Ernestine. – Ah ! le peintre Chartran a passé par là, &

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la belle Ernestine élève un petit peintre.

– Ste Adresse & le Havre. – Nous montons sur le bateau de Trouville, laissant de côté Honfleur & Villerville qui sont trop connus. – Trouville, pis que le vieil Étretat ! Nous prenons la nouvelle ligne de Caen qui nous débarque à Dives dans la bonne vieille auberge de Guillaume le Conquérant où le père Leremois nous accueille comme toujours, les bras ouverts & nous fait goûter un vieux Cidre, puis le Sauterne célebré par Monselet. La jolie auberge ! avec des escaliers de pierre du seizième siècle & ses toits normands sont ensevelis sous les roses, car les rosiers sont des arbres là, grâce au gulf-stream protecteur, il y a un palmier dans le jardin ! Nous allons prendre notre bain à l’embouchure de la Dives à Bauzeval. Jeté en passant un coup d’œil dédaigneux aux boudinés & aux cocodettes de Cabourg & d’Houlgate. – Nous refilons : « La Horne » en pleine dune, fondé par des Anglais. c’est Knock avec une dune plus sèche ! & quarante grosses bâtisses éparpillées. – Nous arrivons à l’embouchure de l’Orne. Étonnant : un paysage & un village danois, avec un nom danois : Ouestreham. Une population qui n’a pas bougé depuis Rollon. Des grands diables roux & silencieux vivant dans un grand marais

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& qui ne se marient que chez eux depuis le dixième siècle. – Nous gagnons Lion sur mer & nous rentrons en civilisation, les plages chères aux Caennais approchent : Luc sur mer ! Plein de Caennais & de Parisiens. – 12e jour de trotte, plus le sou !! Nous gagnons Caen – avec notre billet de parcours, sans même pouvoir aller dire bonjour à la vieille rue aux Fèvres de Lisieux, & nous rentrons calmés brulés, fumés, salés & prêts au travail d’Aout, pour nous procurer les loisirs de septembre ; après avoir traîné nos jambières sur vingt-sept plages !!

Bonne tournée & pleine de souvenirs drôles, un rêve salé.

– Reçu ta lettre, c’est bête que tu n’aies pu aller à Chooz ! J’y serais allé vous retrouver, mais avec cette dinde sans truffes, d’Eugénie, cela est impossible ! Il faudra lui ficher de la strychnine, comme aux rats. Pauvre Liesse !! Edmond lui annonçait qu’il allait arriver à Chooz avec un ménage aimable : « la dame très mucisienne » pour remplacer « l’autre ménage » parti le 15 ! – Et tout cela remplacé par Eugénie !! Paris, même aux canicules, était préférable, à Petit-Chooz dans ces conditions.

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Pendant tout le mois d’Aout je ne bouge pas d’une patte. Travail énorme, quinze heures par jour. En septembre j’irai en Belgique un peu partout mais je plagerai une quinzaine de jours n’importe où « en station » Wissant, Heyst ou une plage de sable française, car j’ai mon opinion sur la plage de sable ! Le galet a du bon : la mer verte, transparente, profonde en deux brasses, sans les dangers des brise-lame, à marée basse : les pêches dans les rochers, & les algues iodées, c’est plus sain, sans compter la beauté des paysages. Évidemment c’est plus riant & plus gai, mais j’ai l’habitude du grand repos des dunes & pour séjourner un certain temps, je les crois les plages de sable plus calmantes.

– Comme je te l’ai dit donc fin-aout ta planche sera faite. Je ne sais pas encore ce que je vais faire mais enfin je trouverai ! Je ferai « quelque chose » c’est tout ce que je peux dire.

N’oublie pas de dire mes conditions à Kistemaeckers, surtout.

J’ai appris que ton beau père t’avait doté d’un beau-frère,

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Tu vas être prodigieusement : mon oncle », car on est assez prolifique dans cette belle & bonne famille Popp. –

Allons après les « Notes d’un vagabond » & le Littoral Belge, tu viendras faire « les Environs de Paris » & le Littoral français. En hiver, tu feras les plages du Midi : ton 5° volume ! Les plages du Midi : Collioure – Banyuls-sur-mer – St Laurent en Salanque, Martigues, – le Roucas-Blanc où les Marseillaises vont montrer le poil de leurs aisselles. – La Ciotat, Hyères – Balaguier – Cannes – Les Îles Ste Raphaël Antibes Nice Monaco – & la Corse, sans compter qu’en rôdant le long des falaises des dunes & des « graus » tu trouveras des coins peuplés de baigneurs & tout à fait inconnus, comme notre Quiberville & St Pierre en port de Normandie.

Somme toute il y a à peu près 150 stations cotières en France.

C’est assez coquet. Cela te remuera les jarrets.

Tiens moi au courant de ce que tu fais & où tu vas, après ou avant Wagner.

Embrasse les tiens pour moi, si tu ne peux venir à la mer cette années, j’irai te voir où tu

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Seras, mais l’an prochain quand ton fils sera plus fort, si j’étais à ta place je louerais un bout de chaumine à Heyst ou autre part & j’y viverais un mois en famille. J’irais t’y retrouver & nous ferions un fort mois de salaison. Il n’y a encore que la Mer vois-tu, – pour tout & pour nos cervelles surtout. C’est la grande Tonifiante.

En voilà des pages ! Tu vois que je me rattrappe de mes mois, de mes années de silence.