Lettre de Félicien Rops

Page 1 Recto : 1

Je t’expédie « La Tentation de StAntoine »

Le sujet est facile à comprendre ; le bon Antoine « poursuivi par les visions libidineuses, se précipite vers son prie-Dieu mais pendant ce temps là Satan – un drôle de moine rouge, lui a fait une farce : il lui a oté son Christ de la croix et l’a remplacé par une belle fille comme les diables qui se respectent en ont toujours sous la main » – Tout cela au fond mon vieux Taelemans, c’est un prétexte a peindre d’après nature une belle fille qui nous faisait manger, – il y a un an déjà ! – des œufs à la tripe, à la mode de Touraine, & qui pour la première fois, & après bien des instances, a bien voulu poser pour son vieux Fély comme la princesse Borghèse a posé pour Canova. – Je n’ai changé que les cheveux qui ont été blondis pour le public . – Dis moi en entière franchise, comme tu me l’as dit pour l’Attrapage ce que tu penses de cette machine. – Je sais que tu ne juges pas entièrement au point de vue Belge.

Page 1 Verso : 2

Je crois que cette peinture vaut 1000 frs. – J’en veux absolument 800. Le reste te regarde. Vend la chose 1000 frs. Le reste sera pour toi. Si Liesse t’apporte un amateur, vous partagerez le bénef, c’est chose juste & entendue. –

Je crois mon vieux Franz que ce dessin convient à Xavier Olin. Il faut surtout que tu éloignes de la tête des gens toute idée « d’attaque à la religion, ou « d’éroticité ». – Une belle fille comme la mignonne que tu connais, peut être pourtraicturée sans aucune idée de lubricité. Le nu n’est pas érotique. – Quant à la religion, elle n’est point attaquée. Lorsque Goya fait enlever le St par Lucifer, il n’a pas plus d’idée anti religieuse que moi. – Enfin arrange cette petite affaire. – Si tu peux faire voir le dessin à Picard cela me fera plaisir. J’avais envoyé à Liesse, que j’avais chargé de payer pour moi quelques petites dettes un dessin à vendre. J’ai appris que c’était Verhaeren qui l’avait acheté, & j’en ai été très satisfait parceque j’aime à savoir mes dessins bien placés. je te dis tout, tu sais que j’ai toujours besoin d’argent – et cela sera bien longtemps comme cela, donc plus tu feras vite mieux cela vaudra.

Page 2 Recto : 3

Fais le voir – (bien entendu si tu le trouves bien) par le plus de monde que tu pourras. Tu es mon représentant mon alter égo à Bruxelles, ce que tu feras comme toujours sera bien fait. – Accuse moi vite réception de la chose & dis-moi ce que tu penses surtout.

Les dames t’embrassent – tout simplement. Chaque fois que l’on fait un bon plat nous disons : quel dommage que notre vieux François Taelemans ne soit pas ici. Enfin tu reviendras – c’est mon idée, – en attendant travaillons dûr, tous les deux.