Numéro d'édition: 2140
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Herbeumont
Date
1887/05/08
Commentaire de datation
Datation sur base du cachet postal d'envoi.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6714/34
Collationnage
Autographe
Date de fin
1887/05/08
Cachet d'envoi
1887/05/08
Cachet réception
1887/05/08
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Herbeumont. Dimanche.
Mon Cher Léon
Certes, j’ai eu tort de venir à Herbeumont, puisque cela te cause de l’ennui, (je me creuse la cervelle & je me demande pourquoi ?) – Mais puisque tu ne désirais pas ma présence à l’hotel Vasseur, pourquoi m’engager à y venir avec toi ? & pourquoi surtout, ne pas me dire tout simplement, le plus simplement du monde : je désire que tu n’ailles pas » « à Herbeumont » ! Je serais allé à Bouillon à Florenville ou en autre coin d’Ardenne. Au lieu de cela tu me propose d’aller retrouver Edmond je ne sais où, & admirer les pommiers de la Meuse ! – Je suis venu à Herbeumont en 1862, j’y suis resté huit heures. Herbeumont depuis devenu un village célèbre comme villégiature & dont tout le monde parle, m’intriguait & il est tout naturel d’y venir, puisque je voulais faire avec toi un tour d’Ardenne & non pas de Meuse ! Tu as un trop bon œil de peintre pour confondre. Je n’ai rien compris donc à ton désir subit d’aller te promener le long de la Meuse avec Edmond, au lieu de venir te promener
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le long de la Semoy avec moi. Il y a là une nuance même non expliquée, & non explicable, dont j’aurais pu être blessé, en mon amitié pour toi. Si tu m’avais dit franchement un mot, j’aurais modifié mon itinéraire. – Je viens de télégraphier à Paul qui devait arriver demain, ou peut être ce soir, de n’en rien faire, et je partirai demain, après l’achèvement d’une étude commencée. J’irai le voir, le fils, à Thozée. Comme voyager seul en cette saison est assez froid ; je ne ferai pas cette excursion, voilà tout. Je la remettra à des temps où tu auras repris bonne humeur ; car je ne me rendrai jamais compte de ton grinchisme actuel, & je n’y comprends goutte comme le docteur du Cryptogame de Toppfer.
Récapitule : Convention entre nous de venir à Herbeumont & de visiter quelques points de la Semoy, pour éteindre en moi le désir incessant de revoir ces coins là, désir que je t’ai si souvent manifesté. – Bon, tu pars seul, sans me prévenir, & comme je t’en fais des reproches, tu t’en excuse en me disant que nous allons retourner à la Semoy, ensemble.
Bon, d’ailleurs, j’ai encore ta lettre, – tu m’y expliquais même la route à suivre par Givet & Florenville. Mauvaise route d’ailleurs pour moi, venant de Paris, puisque celle de Sachy me plongeait d’ailleurs en peu d’heures en plein massif d’Herbeumont.
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Puis lorsque j’ai tout arrangé, l’arrivée de Paul, mes épreuves qui devaient me suivre &c &c et même embrigadé Paul Hervieu, à peu près décidé à m’accompagner, tu m’écris brusquement que les pommiers sont en fleurs, sur la Meuse, – ce qui n’est pas vrai d’ailleurs, & tu me dis que tu changes l’itinéraire. Mais je les connais les pommiers de la Meuse & la Meuse, & Chooz ! Délicieux les pommiers & la Meuse aussi, mais c’est autre chose que l’Ardenne ! & puis il fallait tout décommander, – je ne l’ai pas fait. Cela ne me plaisait pas.
– Je ne m’explique ta grognonnerie, (– il ne faut pas même trop abuser de ce don du ciel, ce à quoi tu me parais enclin depuis quelque temps) – que par les tracasseries qu’on du te causer l’incident-Émilie. Sans cela tu serais sans excuse ! Tu devais cependant savoir que, je ne pouvais qu’être un adjudant de tes volontés, en cas de confidence d’une enfant que j’ai vu naître à peu près. Mais enfin cela ne me regarde pas. Je t’écris ceci pour que tu ne me l’écrives pas, ce que certainement cette fois j’aurais le droit de ne pas te pardonner. – Et à ce propos considère comme non avenue, la lettre d’hier, dans laquelle je me permettais de te donner les conseils que j’aurais moi reconnu le droit à ta vieille amitié de me donner, si, en pareille occurrence, comme je te l’ai dit, tu avais reçu les confidences de ma fille. N’en parlons plus. Quand on parlait légèrement d’elle, & que l’on te blâmait de
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ta faiblesse, & de la liberté que tu laissais à l’enfant, je vous ai défendus tous les deux de telle façon, que l’on n’avait pas envie de recommencer ! Émilie n’a pas vingt ans, elle en a quatorze, & aucune perversité dans l’esprit, elle a le cœur aimant, & ce qui est arrivé est trop naturel pour lui en faire un crime.
– Depuis hier d’ailleurs elle est heureuse & gaie. Je lui avais déja remonté le moral, mais une lettre du fiancé, dans laquelle il lui disait que, à son arrivée à Bruxelles il allait te parler & demander la main de ta fille a fait plus que tout. Donc toutes choses s’arrangeront au mieux. – Quand ton humeur sera « rééquilibrée » tu m’écriras. Voilà tout. J’irai d’ici à Thozée. J’y resterai le Mardi & le Mercredi – Le Jeudi à Anseremme en retournant par l’Est, avec mon passe. Je m’arrête à Givet pour affaires avec le crayonniste Gilbert. Voyage raté, à refaire. J’ai revu un coin d’Ardenne vraie c’est une compensation – faible. J’avais écrit à Pradelle que je ne serais que le 16 au lieu du 15 à Paris. Avec un peu de franchise, nous aurions passer gaiement ces huit jours. Je ne t’accuse pas trop à cause des embêtements dans lesquels tu devais être, mais j’ignorais tout cela & je ne pouvais le deviner.
Bonnes Amitiés à ta femme.
Je te serre bien la patte
Fély
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR