Numéro d'édition: 2123
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Bièvres, Les Jolinets
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6714/17
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
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Les Jolinets
Bièvres en Josas. (S. & O.)
Mon Vieux
Que deviens-tu ? J’ai passé dix-huit jours à Londres avec un tas de peintres français : Gervex Damoye, Roll, Robert& le jeune Ary Renan fils du Christhographe. Nous avons été visiter les « bas fonds » Bermonthsey dans le genre est un chef-d’œuvre. Tiens moi au courant de tes projets balnéaires. Ne t’engage pas trop pour Heyst, si nous pouvions y aller une quinzaine en juillet, nous ne serons pas embêtés par les cohues de bourgeois Bruxellois. Dans tous les cas nous ferons ensemble « la mer » cette année comme l’an dernier. Je te retiens. Je prendrai Clairette, & cela fera à ta fille de nouvelles pattes & une vraie santé pour l’hiver.
À propos d’hiver j’ai vu les bonshommes de Chatou. Ils comptent sur toi & ils paraissent certains de ton arrivée. Il me semble que je le saurais !! Ils ont des journaux ; peut être ne retrouveras-tu plus cette occasion. Réfléchis à ce que tu veux faire, mais songe que si tu réfléchis dix ans nous serons tous
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morts ! –
Nous avons pendu aux Jolinets une forte crémaillère qui a été un bon morceau de fou-rire. Uzanne retour d’Orient & Gouzien en étaient. Ce n’est pas pour te donner des regrets, mais la petite Marie Bonvalot a fait leur conquête en plein, & ils auraient bien voulu te remplacer ! – Le fait est qu’elle devient bien jolie & qu’avec l’aisance qui lui est venue, elle a gagné en élégance & en charme. Sa situation et celle de sa famille sont très bonnes maintenant, elle habite un joli appartement, Léontine l’a associée à son commerce, enfin tout ce que je t’avais dit devoir arriver, est arrivé ! Elle pourrait se marier tous les mois, mais elle s’y refuse avec obstination. Pourquoi ? – J’ai tenu à avoir à ton endroit une dernière explication & il y a une huitaine de jours, par un après midi, que nous étions « occupés » à fumer des cigarettes & que Léontine était plus loin, – car elle ne me l’aurait pas pardonné ! – j’ai abordé ton sujet, Marie Bonvalot avec sa bonne netteté d’esprit bien français & avec ce clair bon sens qui ici est dans le peuple m’a dit : « MrDommartin ne m’aimait pas voilà tout ! Moi j’avais été entraînée par l’exemple de Madame Léontine & de vous, par la vie intelligente & douce que vous lui faisiez, par le bonheur dont on jouit ici & je m’étais dit : Léon Dommartin est un littérateur comme Mr Rops est artiste, cela peut s’arranger, nous travaillerons tous les deux & j’aime mieux cela que d’épouser « un
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soyeux » De là à avoir un faible pour le Monsieur, il n’y a pas longue route ! C’était arrivé. Mais je trouve que si on peut être éprise & aimer un homme de son âge, il faut qu’il vous aime comme vous aimez & même plus. J’ai tenu à le savoir & je l’ai su lorsque MrDommartin s’est dérobé grossièrement. C’est moi qui avais tort d’avoir un penchant pour un homme qui ne m’aimait pas. J’avais vu autre chose que ce qu’il y voyait, lui, dans tout cela, donc j’avais tort » Voilà textuellement ses paroles. C’est très juste très honnête & très net comme tout ce qui vient de ce bon petit caractère & de cette brave petite femme. Gouzien en revenant a trouvé le mot des situations : Pour que Dom ait passé à côté de cette chose là avec cette indifférence il faut qu’il n’ait plus d’érection morale ni physique que pour les vieilles garces. – Au fond Mon Vieux je crois que c’est un peu cela & que tu serais très ennuyé – actuellement – d’une jeune femme. Je crois très sincèrement que tu es excusable. Il faut une virtualité & une verte seconde jeunesse pour faire ce que tu voulais faire !! Seulement je crois que le bonheur était là & que tu le laisses passer. À nos âges cela ne repasse pas !! J’ai tenu comme conclusion à te redire, puisque le nom de la petite Marie était revenu sous ma plume à te dire ce qu’elle m’avait dit, comme dernière explication. – Qui sait ?
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Si tu habitais Paris cet hiver & si tu te rajeunissais moralement au toucher de la vieille ville galvanique peut être pourrais-tu remettre les choses ! Si tu avais seulement le côté ardent & amoureux d’Émile Hermant ! Il est dix fois plus jeune que toi. Ah ! ce n’est pas lui qui va aux bordeaux ! Il laisse cela aux bonshommes. – Que veux-tu, je voudrais te voir rester jeunes et ne pas croire que la jeunesse consiste à mettre une vareuse de canotier. – Je sais bien que rien n’y fera & que tu t’endormiras là dessus mais enfin les choses repétées plaisent dit le proverbe latin, plaisent deux fois ! mais cinquante ! – Et puis ici ta fille qui n’est pas bête & qui n’est pas écervelée comme le répetent et le répêteront tous les bons Belges pourra ici se marier selon ton goût. Et si tu veux la garder un peu à ta portée c’est le parti que tu as à prendre. Allons tâche de fonder un bon bonheur d’âge mûr & de vieillesse. Puis enfin Paris est ta ville ! Arrange notre mois de mer. En juillet j’ai bien l’envie d’aller d’abord du 1er au quinze à Heyst. Qu’en dis-tu il doit faire délicieux la bàs.
Ton vieux frérot rabâchineur
Fély
Écris 17 rue Drouot, je vais & je viens & on me garde mes lettres.
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR