Numéro d'édition: 2120
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Bièvres
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6714/14
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Bièvres en Josas.
Mon Cher Vieux,
– Tu auras probablement reçu ma suite-lettre que j’ai expédiée à Bruxelles, & je te donne des détails sur Roche-Claire, & les Hauts Vignons. C’est une lettre d’un cartologue à un cartographe & après celle-là tu seras venu avec moi à Roche-Claire, – il est toujours amusant de faire voir à ses amis les pays que l’on visite, quand on sait que ses amis ont « l’œil des lieux ». Pas se tromper : il y en a très peu ! – l’œil est rare.
Tu as tort, tu le sais bien à propos de ce que tu dis d’Auré & de Léon. Elles ont toujours été pour toi les meilleures des amies, & cette amitié n’a été rompue que par ta conduite, tu le sais aussi, tout à fait inqualifiable. Tout le monde est, & a été de cet avis, – je parle du monde de nos amis à qui tu avais parlé de tes projets. – Tu sais très bien que ce n’est pas « parce que tu n’as pas voulu épouser Mademoiselle Bonvalot» que cette amitié a cessé. Il est même enfantin de répéter cela, & peu délicat, cela te donne un faux triomphe, auprès des imbéciles ou des gens qui ignorent. La Cause de la rupture d’amitié :
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c’est parce qu’après, à force de supplications préalables
Et regarde comme on est toujours puni des sottises que ces mêmes défauts vous font faire. Tu as, toujours avec des prudences, beaucoup moins involontaires que tu ne le dis, hésité & rompu des mariages qui tous t’offraient différentes chances de bonheur, & te voilà déjà vieux sans intérieur
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– Rien n’est plus bête que de dire : Je suis comme cela, – C’est d’une commodité rare & la pire des lâchetés. Et la preuve c’est que lorsque l’on veut, on exécute cette volonté.
Je me suis toujours, cela je ne m’en repents jamais, trop préoccupé du bonheur de ceux à qui j’ai gardé les amitiés à chevrons. Je te connais & mieux que toi.
Quant à Léontine & à Auré, je crois que petit à petit le mépris assez justifié qu’elles ont pour ton caractère s’effacera. – Tu te trompes aussi à propos de Bièvres. Léontine m’avait dit : « Va déjeuner à Bièvres avec Dommartin. – Je ne tiens pas à le voir mais cela te plaira & ma mère reçoit toujours bien » Ce jour fixé je devais être à Paris à quatre heures, & Mme Duluc devait venir à Paris pour voir sa fille mariée qui arrivait de Brie-Comte-Robert. Nous avons changé & remis cela & nous sommes allé à Sèvres. Voilà.
– Quant à la petite Marie Bonvalot elle ne t’en veut nullement. Elle croit que c’est la visite que tu as faite chez eux, lorsqu’ils se trouvaient, après argent placé & perdu, dans une passe qui touchait à la misère, qui a influé sur ton courage ; – puis : surtout que tu ne l’aimais pas, or comme tout femme française, elle ne veut pas d’un mariage purement de raison. – Elle croit que
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Si tu avais rendu visite à ses parents deux mois après dans le joli appartement qu’ils occupent, cela aurait pu t’ôter la peur des responsabilités. – Auré d’ailleurs pense comme elle : les mots que tu lui as dit : « Mais c’est la misère ! » après avoir rendu visite aux Bonvalot, pourraient justifier ces opinions. – Moi je ne sais pas, tu as été assez sot, fort égoïste, & très grossier, voilà tout ; – je t’ai dit souvent mon opinion, & nous ne parlerons plus de cela ! Tu es et tu seras puni par où tu n’as pas péché. Et je n’aime pas voir mes amis punis du tout. Cela m’embête. J’aime les voir heureux, gais, dans leur milieu naturel et faisant ce pourquoi ils sont nés : peinture littérature musique ou charpenterie. – Je te voudrais dans un de ces coins chauds, lumineux exquis de ce pays de France que nous aimons & dont nous sommes, la petite maison au bord de l’eau dans les acacias en fleurs, le remisage des bateaux couronné de houblons, c’est là dedans que la vie est indiquée, et Paris à côté ! Le reste n’est que folie, veulerie & vagabondage canichien. Le travail c'est à dire : l’action & le repos avec des merveilles dans les yeux.
À toi & à bientôt Vieux
Je ne désespère pas te voir à la Roche-Claire
Fély
Détails
Support
2 feuillets, 5 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR