Numéro d'édition: 3107
Lettre de Félicien Rops à [Maurice Bonvoisin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23

Destinataire
Maurice Bonvoisin
1849/05/26 - 1912/03/27
Lieu de rédaction
[Paris]
Date
1878/03/28
Commentaire de datation
Datation sur base de l'apostille.Type de document
Lettre
N° d'inventaire
Bon/LE/49
Collationnage
Scan
Date de fin
1878/03/28
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops
Apostille
1878/03/28
Page 1 Recto : 1
Mon Cher Maurice
Je te réponds par retour du courrier 1° Parce que je ne serai en Belgique que dans la deuxième quinzaine d’avril (Mon fils Paul venant de m’écrire pour retarder mon voyage jusqu’à ses vacances de Paques & 2° pour te mander les renseignements que tu désires. – Je suis de ton avis, quant à la Belgique & je tiens à satisfaire le groupe d’amis qui disent que « Félicien ne fait plus rien » ; la meilleure preuve : c’est que j’ai tout fait pour « arracher » – c’est le mot, à Gouzien ses meilleurs dessins et les faire vendre en Belgique par l’intermédiaire de Taelemans, je n’ai jamais été en rapports directs avec Mr Picard pour la vente de ces dessins. Si Gouzien ne vend pas à Vienne les dessins qui lui restent & je l’espère parce qu’il tiendra les prix forts, je les placerai en Belgique. Quant aux « expositions » j’ai toujours eu ce mode de propagation artistique en horreur, – sous quelque forme qu’on l’a présente. – Je me moque de la réputation populaire & de la gloire en gros sous. Je n’ai donc rien à gagner aux expositions, – et j’éreinterais dans les journaux mes propres dessins
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si un de mes amateurs voulaient les exposer sans mon consentement, en déclarant que je considère le dessin exposé comme inférieur & ayant été exposé sans mon consentement. C’est ce que j’écrivais à Gouzien à propos de ses derniers dessins qu’il voulait exposer rue Drouot aux bureaux du Figaro. Et je l’eusse fait nette cette déclaration.
Dans le public il y a quinze cents imbéciles sur un homme de goût. Et j’ai assez « d’amateurs ». Ceux qui veulent de mes dessins savent les dénicher chez ceux qui les possèdent.
Comme je te l’ai dit, aussitôt installé tu recevras tes dessins dont tous les croquis & les études sont faits. Je ne te les ai pas montrés, à toi pas plus qu’à un autre parce que c’est un principe chez moi, – le principe de Ingres – de ne plus montrer une chose en gestation. Voici les titres de ces dessins qu’il n’y a plus qu’à « exécuter »
Ils sont tous faits & ébauchés. Il y a des thérebentines, des pastels & des dessins rehaussés de gouache. Pas d’aquarelles j’ai renoncé à ce procédé.
1 – le Scandale 2 Canotiers 3 Pêcheur de grenouilles. 4 Un botaniste 5 Berger Breton 6 Satan semant l’Ivraie 7 Saltimbanques. 8 Forains dans la neige 9 Intérieur Breton 10 Mon ami Pierrot 11 Mi-Carême 12 Le thé 13 Minuit
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14 Broderie 15 Coulisses, 16 La Fileuse.
– Ces dessins seront exécutés rapidement tout le travail étant fait. Du reste je tiens d’abord à m’acquitter envers toi puis je ne vois plus comme à l’époque où j’ai fait ces dessins, plus du tout. Ces dessins seront les derniers de cette « première manière. Je ne peux te les exécuter comme je vois maintenant, je devrais les boulverser de fond en comble & quand j’ai fait ces études là – je voyais comme cela. Puis il te serait impossible de vendre les dessins que je te ferais dans ma dernière manière, qui est d’un réalisme féroce & d’une coloration toute spéciale. Du reste ce dont je te parle en ce moment, ne sont pas des dessins ce sont des peintures à la thérebentine sur toile absorbante. Je n’en ai pas encore fait. J’ai fait seulement deux études des plus intéressantes d’après mes vieilles études, en faisant poser à nouveau le modèle. Tu auras donc des choses curieuses comme dernier emploi des procédés de l’an dernier, que tu connais, et qui sont de bons procédés, mais j’en ai assez, j’ai trouvé une autre mode d’exprimer & je le préfère à tout autre. Seulement cela devra trouver son public. Les deux planches sur zinc sont anéanties. Je les avais retransportées sur cuivre & elles sont à Thozée où j’avais ma presse. Les zincs ont été réduits à néant comme étant inférieurs aux Cuivres qui les reproduisaient fidèlement
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J’ai deux épreuves de ces zincs mais il faudra faires des fouilles !! – On n’a encore rien tiré des Cuivres que les épreuves d’essai avec lesquelles j’ai dû allumer quelques bonnes pipes. Ce sont des planches à mon avis très curieuses les bonshommes presque linéaires avec fonds de paysages très, très travaillés quoiqu’avec peu de chose. Je t’en tirerai une épreuve. Il y a encore bien d’autres épreuves de ces zincs mais où les trouver ? C’est une histoire assez drôle que l’histoire de ces zincs. En 1867 aux régates données pour l’Exposition & où j’accompagnais la Brunette de Namur qui a remporté le premier prix des « juniors » j’ai fait les croquis de « quelques canotiers », les deux qui sont près de leur bateau sont des Canadiens des environs de Québec, les deux autres près des bateaux sont des Oxfordiens. Vers 1875 l’idée m’a pris de mettre cela sur zinc & j’ai envoyé dans le « Marionetshere » !! patrie des Oxfordiens puis à Québec à l’adresse des Canadiens deux épreuves des zinc. Est ce arrivé ? Pas de réponse ! J’ai encore les noms des bonshommes je crois quelque part. Malassis les a possédées, – (les épreuves !) mais il a souvent « lavé » ses collections. Cela y est-il ? – Je t’enverrai dans quelques jours une épreuve d’une planche absolument inédite, une misère une toute petite tête de jeune fille mais personne n’en possède une épreuve. J’ai retrouvé
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dans un tiroir à vieux gants, – au milieu des gris perle oubliés, – deux planches inédites. – Cette petite tête de femme & un croquis gaillard à la pointe sèche, fort léger (comme pointe). J’ai emballé cette dernière mais l’autre est encore dans son tiroir à gants. Seulement il faut que je fasse couper le cuivre. –
Il y a encore à Thozée une épreuve une seule, – cuivre disparu ou flanqué dans l’étang dans un moment de vexation, un petit bonhomme au trait qui devait servir de frontispice à l’eau forte qui n’a pas été exécuté pour le chasseur à la bécasse de mon beau père. C’est un petit bonhomme qui tire une bécasse, au trait, presque rien.
Quant au frontispice de De Coster je ne sais de quoi tu veux parler. Il y a eu un essai de cela mais on n’en a pas tiré d’épreuve, que je sache.
Je me demande toujours ce que fera l’ex-Société Internationale des Aqua-fortistes avec les cuivres. Il serait dommage que ces planches restassent enfouies à tout jamais. Aux termes du règlement on doit les détruire. Le fera-t-on ? Tu pourrais un de ces jours lever ce lièvre dans les jambes de ce bon Goethals.
À toi & à bientôt
Félicien
Détails
Support
2 feuillets, 5 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
Photographie Vincent Everarts