Numéro d'édition: 2878
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
s.l.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/469/65
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Vieux repris de justice,
Je te croyais en train de faucher le pré à St Bernard & ta lettre sans timbre judiciaire m’a étonné – parlant à votre personne. Je devais aller à Bruxelles mais des voyageurs intrépides m’ont assuré qu’il y faisait quelque neige. Ces voyageurs « intrépides » que rien ne peut arrêter, m’ont en plus aussi assuré qu’ils avaient pénétré jusqu’à un point geographique qu’ils ont relevé (ce qui est une belle action) et que les naturels du pays appellent entre eux Nivelles en Brabant. Je me suis laissé dire que Nivelles ne venaient pas de nivella, petite neige, mais bien de ma-nivelle, – les habitants de ces latitudes se remontant comme les lampes Carcel, mais ils usent moins d’huile, ce qui fait qu’on pourrait les utiliser pour l’exportation ; – d’autant plus ! qu’ils sont bronzés naturellement. Les hommes d’ailleurs y sont bêtes comme dans les autres pays et les pharmaciens chauves. Les femmes y sont tellement étroites que les hommes ventrus ne peuvent pas y passer, ce qui rend le pays habitable, mais il est infesté par des bandes de pianistes – sortes de Derviches frappeurs qui tapent sur tout ce qu’ils rencontrent sans distinction de grade. Ces explorateurs dont je te parle ne m’ont pas caché que c’est dans une rivière appelée Dos d’ane (parce que la surface de ses eaux est convexe,) que les Nivellois pêchent les bandages amidonnés dont ils font un commerce étendu. Voilà ! Et voilà pourquoi je n’ai pas été t’embrasser !! – Puisque nous parlons sérieusement, – (que nous devenons vieux !!) je
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te dirai que je t’engage à remettre ton voyage à la nouvelle année : – La fête de Murcie – scie & mûre, – aura lieu le 18, après demain. Ce sera un four dit-on. D’abord c’est trop cher : 100 frs par place de loge, c'est à dire : de pourtour ! & ceux qui ne paieront que 30 frs ne verront que le chignon de Mlle Ghenassi. – Quant à ceux qui paieront 20 frs, à minuit, ils ne verront rien du tout. Puis c’est trop loin ! ramener en voiture une dame par ce temps là, de l’avenue ex-Joséphine, c’est a ne plus retrouver que son squelette en rentrant ! Puis le vrai c’est qu’on commence à en avoir assez des inondées. Szegedyn cela a marché, mais répéter deux fois ces choses là à Paris, en un an, c’est difficile, pour ne pas dire impossible. – Puis, puis, avoir 250 petites dames acharnées à vos goussets sans même fouiller dans vos brayettes c’est dur & c’est cher !
– Si j’étais de toi, je ne quitterais pas le beau pays de Brabant avant le 25 Jour de Noël ou le Nouvel an. Les chemins sont littéralement impraticables pour le moment. Nous irons à Rambouillet & Maintenon ensemble, mais à moins que tu veuilles jouer les Mazeppa & te voir poursuivi par deux cents loups agréablement affamés, je t’assure que les bois du Gâtinais sont invisitables même pour des bonshommes de notre trempe. Les paysans français sont tellement ahuris de cette neige & de cet hiver qu’ils n’en enlèvent pas une pelletée & restent chez eux comme des renards. J’ai été voir ma fille à Montrouge, & j’ai failli avoir le sort des navigateurs du pôle Nord. – Vrai c’est à ne point croire. – Il n’y a plus de légumes à Paris, c’est fantastique mais c’est ainsi.
Nous déménageons & le 4 janvier on compte sur toi & sur Edmond Carlier arrange-toi ! Dans tous les cas préviens-moi !
À toi Vieux
Fély
Amitiés des petites sœurs.
J’ai bien reçu le n° de la Chronique avec ton remarquable article sur Gounod – J’ai passé à Gouzien le susdit article. – Je n’ai pas voulu t’écrire à ce propos. Je n’aurais pu que – t’engueuler littéralement – quand on a encore assez de cervelle pour écrire des choses comme cela, on ne les écrit pas à Bruxelles dans une cave, on les écrit ici. – Quand tu te décideras à venir ici tu seras trop vieux ! Tu m’as dit de ne plus jamais te parler de cela que je ne t’en parle que pour souvenir. – Cela m’embête, il y a dix journaux où tu pourrais travailler, tu pourrais quoique tu dises arranger ta vie tout autrement. Crois moi Vieux tu n’es pas fini si tu veux. Je ne te dirai jamais qu’un mot : reviens. – Veux tu essayer ? – Je te loue deux chambres meublées pour 500 francs par an. Crénom de Dieu si j’étais toi, je voudrais avoir en six mois une jolie position ici dans le journalisme. Personne ne fera certaines choses comme toi ici.
Enfin je te rabâches tout cela mais si je te le répète c’est par vieille amitié & que je suis sur place pour bien voir.
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR