Numéro d'édition: 2792
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
s.l.
Date
1888/12/20
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/468/213
Collationnage
Autographe
Date de fin
1888/12/20
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
Son art ; Lemonnier
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À bord de la « Malvina » en vue des Baléares. le 20 Décembre 1888.
Mon vieil ami
tu as raison, & pas raison : Je n’ai pas pu te voir à mon passage à Bruxelles en octobre pour la simple 1ère raison que je te croyais encore au Coq, – puisque tu m’avais dit que tu y serais encore en Novembre ; puis parce que je ne faisais réellement que traverser la Belgique ; puis enfin : parce que je comptais retourner en Belgique en novembre. – Je n’ai pas acheté de maison à Middelkerke & pour la simple raison que je n’ai pas d’argent pour acheter des maisons, mais j’allais en acheter pour ma belle mère. La maman Duluc a fait un petit héritage, & cherchait un placement immédiat de son petit argent. Comme elle voulait à toute force acheter du Panama, comme tous les Français & toutes les Françaises, je lui ai fourré dans la tête de placer cela en Belgique, sur n’importe quoi. – Ritter m’avait conseillé de prendre pour moi une villa à Middelkerke. Cela m’est revenu à l’esprit, je lui ai écrit, nous sommes partis ma femme & moi pour Middelkerke, j’ai vu deux villas, toutes les deux parfaitement meublées, & je les ai achetées pour ma belle mère, pour 48,000 francs. L’argent rapporte
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six & sept pour cent immédiatement. C’est joli bien bâti, très bien compris au point de vue architectural, en somme une assez bonne affaire.
Comme je ne jouais pas avec mon argent, je ne pouvais risquer cet argent sur une entreprise aléatoire comme le Coq, ou Knokke. Il fallait quelque chose d’un apport immédiat & certain. Je crois que nous n’habiterons jamais ces villas. C’est une affaire d’argent simplement. Peut être comme tout est meublé, irai-je en juin & en octobre y passer quelques jours, mais ce sera d’une façon tout à fait transitoire.
Donc, tu peux détruire, en disant la vérité, la légende qui va s’établir en Belgique & qui racontera que « j’achète des villas, & que je veux devenir bourguemestre de Middelkerke. – J’ai reçu tes envois des numéros de la Chronique. Tout ce que tu dis est endessous de la vérité. Nous causerons de tout cela en Janvier, car j’espère que tu attendras mon retour pour arriver à Paris. Si tu as raté la Noël & le nouvel an, il vaut autant que tu attendes les beaux jours de février, les jours sont plus longs, les théatres battent leur plein, & l’on peut déja faire quelques tournées en forêt. Je vais donc « au Sahara » mon vieux,
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un voyage d’un mois, payé par le travail que je vais faire pour le Happers-magazine, texte & dessins. J’accompagne le monsieur-rédacteur. Il y a longtemps que je désire voir à fond ce coin de France « Barbaresque ». Puis il parait que les paysages y sont extraordinaires.
– L’occasion s’est présentée & je l’ai accrochée au toupet, comme bien tu le comprends. Pour l’instant nous rasons les Baléares. Temps merveilleux, mer d’indigo, soleil trop chaud. Demain à l’aube nous serons à Carthagène, où je mettrai cette lettre à la poste. Les quelques mots de préface de Lynen partiront d’Oran & il est très probable qu’ils arriveront en même temps que cette lettre car la voie Oran-Alger est plus rapide. Seulement je suis forcé d’attendre, parce que « ma préface » – un mot bien gros pour ce que je vais faire, doit être autographiée & que la mer qui fraichit ne me permettrait pas de faire d’une calligraphie lisible – Pour les articles de la Chronique. Je te remercie, & j’ai été très heureux de ce que tu as dit, & surtout que ce soit toi qui l’ai dit. Et cela m’a été d’autant plus sensible que je me trouvais dans une noire disposition d’esprit. Cette lutte perpétuelle contre un art qui m’échappe ou qui ne se manifeste qu’à demi dans mon œuvre est une des choses les plus pénibles qui soit. on peut nier tout ce que j’ai fait, mais il y a une chose que
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l’on ne peut nier c’est que je suis une « Probité artistique » & que devant cette Probité dont je suis justement fier, ne fut-ce qu’à cause de sa rareté, en un temps où tous les artistes triquent à la toile. J’ai une croyance, une foi : Je suis l’esclave de ce que : je dois faire. Les procédés Lemonnier sont grossiers, mais tu sais ton Paris, & tu sais aussi, ce que beaucoup ignorent le sourire dissimulé sous la gravité des lèvres. Je te raconterai des choses qui grossiront « ton arsenal » en cas d’attaque.
Je voudrais te voir, en février avant le train train de l’Exposition. Si tu ne viens pas, j’irai à Bruxelles, mais il serait bon d’aller faire un tour aux champs, à Fontainebleau, où les ficaires seront en fleur sous les bouleaux, de dîner sous quelque tonnelle, & de boire en devisant de bonnes choses, les petits vins gais du Loing, celebrés déja par toi, dans les notes d’un Vagabond. En Belgique lorsque nous nous voyons, nous sommes trop entourés de Belges, braves & bonnes gens, mais qui dérangent notre courant d’esprit, ou ne comprennent pas les choses de demi-mot. –
À Bientôt donc Mon Vieux, n’attribue mon long silence, qu’à ces minutes d’irritation, où mon travail me jette. Je vais écrire à Popp un de ces jours pour le Coq & leur faire, aux propriétaires des offres spéciales.
Je t’écrirai d’Algérie ou de Tunisie
En attendant je te serre bien la main & je vous embrasse tous.
Fély
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Crayon Gris.
Copyright
KBR