Numéro d'édition: 2762
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Paris
Date
1886/09/15
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/468/183
Collationnage
Autographe
Date de fin
1886/09/15
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Paris, Jeudi 15 sept. 1886.
Mon Cher Vieux
Tu comprends que si je ne t’ai pas écrit à propos du frontispice non encore exécuté, c’est qu’il y avait « quelquechose ». Ce « quelquechose » est toujours naturellement la tuile à laquelle on ne s’attend pas & qui vous tombe sur le crâne au moment où l’on a son parapluie sous le bras. Pour l’instant, elle est représentée la dite tuile, 1° par une maladie de Clairette qui est au lit depuis trois jours avec la fièvre ; sera-ce grave ? sera-ce peu de chose ? Personne ne peut rien en savoir, y compris le docteur Filleau, qui la traite. Jusqu’à présent il croit à une fièvre intermittente, résultat de promenades en canot sur la Seine pendant le chômage de la navigation, c'est à dire le long des berges, laissées à sec, & pleines naturellement de miasmes paludéens. – C’est cela, ou c’est tout autre chose : nous saurons ce qui en est dans deux ou trois jours. 2° La dite tuile s’incarne aussi dans un abcès, très malin, qui me
Page 1 Verso : 2
force depuis un mois, à tenir le pied allongé sur un tabouret, comme on représente dans les tableaux d’Hogarth tous les mauvais sujets dans leurs vieux jours. Et cela après avoir subi une très douloureuse opération, exécutée par le nommé Chevassu, chirurgien de la République Française, qui brutal comme son nom, a farfouillé férocement dans un de mes malheureux doigts de pied, à l’aide de scalpels, pinces, ciseaux & bistouris fabriqués par la maison Matthieu de Namur. Comme Namurois j’étais flatté, comme patient le charme diminuait je t’assure. Et les causes ?: une mouche venimeuse qui m’a piqué pendant que je baignais ; encore dans la Seine ! – Note que cela se passait le 25 juin !! Cette piqûre s’est enflammée & abscédée, puis a fait place à un de ces bobos d’aspect insignifiant & qui ne me gênait guère, puisqu’avec des souliers en toile, j’ai pu le 14 juillet faire la fameuse tournée de plages que je t’ai racontée : Il y a un mois, brusquement cela s’est enflammé à nouveau & alors ; pour ne pas me couper ce pied gauche, à laquelle j’ai la faiblesse de tenir, j’ai dû consentir à ce que le terrible Chevassu, allât, chercher « en chairs profondes » comme il le disait
Page 1 Verso : 3
si gracieusement, la poche cause du mal. Tu te demandes comment il peut y avoir des « chairs profondes » dans un doigt de pied ? C’est que ce doigt de pied était devenu semblable à une tête de cabillaud, pendant que le pied lui-même ressemblait à une tête d’éléphant désossée. Et voilà l’épopée & le récit de la double tuile. Pour l’instant Je suis toujours dans la position très Hogardtienne dont je te parlais tout à l’heure. C’est à peine si je peux écrire. Note que sans cela, je serais en Belgique depuis le 1er septembre ! Les malles sont là faites & attendant tristement le bon vouloir des mauvais sorts. – Le Chevassu prétend que Lundi ou Mardi prochains je pourrai marcher. Ce ne sera pas long ! je file sur Givet (à cause du tas d’amis que j’ai là & de ma passe qui m’envoie par l’Est,) je vais vous dire bonjour à Chooz, puis s’il fait beau, je vais avec Clairette huit jours à Heist. Je ne sais ce que je ferai après. Mais pour cela, il faut – tirelifaut tire li faut : que la fièvre de la Mignonne ne soit pas grave & que je puisse fourrer ma patte dans un soulier de toile. – Que le Dieu Chevassu me protége. – Je ferai la bàs ton dessin. – Songe que depuis un mois je ne dors pas, je mange à peine & je vis dans des fièvres les
Page 1 Recto : 4
plus mittentes qui soient au monde ! Dans deux jours je t’écrirai ce que tout cela va devenir. Je t’écrivais à Bruxelles, lorsque – la lettre commencée, – j’ai reçu un mot de Liesse qui me disait que tu étais à Chooz, où j’adresse ma lettre. Liesse me désespère, il n’en finit pas avec son stupide roman. Tous les livres d’hiver sont sous presse. Voilà un été entier passé labàs, son livre devrait être chez l’éditeur : rien ! c’est de la Folie pure. – qu’y faire ? Il le remettra au printemps de 1887 ce livre ! puis à l’automne puis au printemps 1888. Il est hypnotisé par le buchage, il mourra en recommençant un chapitre. Rien à dire à cela ! –
À toi Mon Vieux & certainement à bientôt.
Embrasse tous les tiens pour moi y compris le Bébé.
Fély
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR