Numéro d'édition: 2758
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Paris
Date
1886/01/14
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/468/179
Collationnage
Autographe
Date de fin
1886/01/14
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
Demoiselles de la Colonelle
Page 1 Recto : 1
Paris le 14 janvier 1886.
Il y a bien longtemps que je dois t’écrire en réponse à ton « aimable missive » & si je ne l’ai pas fait c’est que depuis l’automne, j’ai été en butte à un tas de coups du sort, – une série, – lesquels coups étaient aggravés par une situation de santé assez mauvaise. Il parait que le susdit sort n’a pas fini, car il m’envoie une dernière tuile, tuile qui nous atteint un peu tous les deux mais de laquelle nous parviendrons à nous garer si tu t’y prends bien & si tu ne gâches pas la situation ! – Voici les faits : Mlle Doucé s’est fait pincer pour vente de livres obscènes. Dans ses papiers on a trouvé deux lettres de moi, une dans laquelle je lui disais que « j’envoyais à Mr Léon Dommartin 1° La deuxième partie de la collection, 2° Le cuivre
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destiné au frontispice des « Demoiselles de la Colonelle » (destiné par Mlle Doucé, car comme tu as pu le voir, ce cuivre était un cuivre quelconque, qui n’avait aucun rapport avec le livre que je n’avais pas lu & qui pouvait s’appliquer à tous les livres gais tels qu’en publie par exemple Armand Silvestre. –
Le juge d’instruction des Bruxelles, malin, qui avait pincé les Demoiselles de la Colonelle a mêlé tout cela & a cru que la collection de gravures envoyée par moi de Paris était une collection de livres, ayant rapport aux livres obscènes etc etc. Il m’a donc fait comparoire devant le brave Dulac « commissaire aux délégations judiciaires » afin qu’il me pose les questions suivantes : 1° Quelle était la collection envoyée par l’entremise de Léon Dommartin ? – Sa nature ?
2° Quel était ce Mr Léon Dommartin et quelle est sa profession ? (sic !)
3° Qu’est devenue la planche destinée aux demoiselles de la Colonelle ?
4° Quelle était le dessin de cette planche ?
5° Pour quelle raison cette planche était-elle envoyée à Mr Léon Dommartin avec la collection ?
6° Mr Léon Dommartin n’était-il pas en cette occurrence l’associé de Mlle Doucé (!!!!)
Tu vois quelles âneries mais il faut surtout se défier des ânes magistrats, je t’écris au plus vite ce que j’ai répondu & aussi ce qu’il faudra répondre. –
Voici ce que j’ai répondu au bon Dulac, commissaire aux
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« délégations judiciaires » :
« Fin de 1884 ou commencement de 1885, je ne sais plus au juste la date, je reçus la visite de Mlle Doucé qui me dit que vu le nombre d’amateurs de mes eaux-fortes qu’il y avait en Belgique, elle me priait de tacher de lui procurer une collection de ces eaux fortes devenues assez rares, & qu’elle me la paierait 800 frs.
J’accédai à sa demande & je réunis un assez grand nombre de pièces rares : scènes de mœurs, études flamandes paysans, études parisiennes frontispices etc etc
Mlle Doucé revint & au lieu de m’apporter les 800 francs promis, elle me dit qu’elle ne pourrait en donner que trois cents. Comme j’avais plusieurs raisons de me défier de Mlle Doucé comme probité, je lui dis que je lui donnerais seulement la moitié de cette collection de gravures & que j’enverrais le reste chez Mr Léon Dommartin mon ami, à Bruxelles, qui le
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lui remettrait contre espèces. Mlle Doucé depuis longtemps m’avait demandé de lui faire un frontispice pour un livre intitulé “Les Demoiselles de la Colonelle” livre que je n’avais pas lu, & pour lequel d’ailleurs je ne voulais faire aucun dessin, sachant très bien quelle était la nature des livres que voulait publier Mlle Doucé. Elle insista me disant de lui donner n’importe quel cuivre de moi qu’elle en ferait un frontispice. J’avais une vieille planche qui avait servi de “menu” dans un dîner d’artistes & qui représentait une dame mi-nue agitant un éventail. En effaçant l’inscription qui y était gravée & en la remplaçant par une inscription le titre de l’ouvrage cela pouvait faire un frontispice que tout le monde pouvait voir. Je la proposai à Mlle Doucé qui me dit de le lui envoyer avec la collection susdite, ce que je fis. Mr Dommartin devait le lui remettre en même temps que la collection contre le remboursement du reliquat de la somme convenue.
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Mlle Doucé parvint à obtenir de Mr Léon Dommartin le restant de la collection sur billets que naturellement, elle n’a pas payés Mr Dommartin gardait le cuivre en garantie de ces billets. Comme Mlle Doucé n’a pas payé, le cuivre m’est revenu & légèrement modifié il va servir de frontispice à un livre qui va paraître à Paris.
Quant àla Collectioncette collection renfermait des pièces de toute nature, il y avait des nudités, maisaucune éroticité »
Voilà, fais attention à cette dernière phrase qui est capitalepour toi, car s’il y avait eu des éroticités, tu pourrais être condamné comme « receleur de pièces érotiques » comme ayant « favorisé l’écoulement de ces pièces ou pour dix autres « chefs », tu sais que ces animaux là en trouvent toujours. il faut toujours se défier de la justice, des juges & surtout des juges bêtes, & en rester au bon mot de Rabelais : si l’on m’accusait d’avoir volé les tours de Notre-Dame je commencerais par m’enfuir. – Puis on ne serait pas fâché de pincer un rédacteur de la Chronique ! Donc ta déposition doit être faite comme ceci ou à peu près :
« J’ai reçu de mon ami Rops une collection ou plutôt un fragment de collection de gravures rares destinées à Mlle Doucé, je ne sais si Mlle Doucé voulait les vendre ou les garder pour elle, cette collection était composée de gravures de tout genre, il y en avait même de très sévères comme sujet : Des campagnardes, des vieilles femmes, des paysans, il y avait des nudités comme en font tous les peintres sur des sujets mythologiques mais je n’y ai point vu d’éroticités.
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Quant au cuivre, il était de nature à pouvoir être vu par tout le monde : il représentait une dame un peu court vêtue mais qui agitait un éventail, Il était beaucoup moins léger que la plupart des frontispices qui se publient à Paris & il n’y avait làaucune éroticité. Je devais remettre tout cela à Mlle Doucé contre argent. Mlle Doucé est parvenue à force de promesses à me subtiliser cette collection ou plutôt ce fragment de collection en me faisant faire par son mari des billets qui n’ont pas été payés. Quant au cuivre qui m’était resté en garantie je l’ai renvoyé à Félicien Rops. – C’est net. –
Voilà.
Fais attention à bien établir ta déposition qui doit faire ressortir ceci. 1° qu’il n’y avait pas d’éroticité dans la collection vendue à Doucé. 2° qu’il n’y avait pas d’éroticité dans le cuivre, ce qui est vrai d’ailleurs !
Détails
Support
2 feuillets, 8 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR