Numéro d'édition: 2278
Lettre de Félicien Rops à [Edmond Picard]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Edmond Picard
1836/01/01 - 1924/01/01
Lieu de rédaction
Paris, 109 Rue de Rome
Date
1878/07/29
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
ML/00631/0012
Collationnage
Autographe
Date de fin
1878/07/29
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature
Page 1 Recto : 1
Paris 29 juillet 1878.
109. Rue de Rome
Vous avez dû avoir une étrange idée de ma politesse Mon Cher Monsieur Picard, en ne recevant pas de réponse à votre lettre. Il lui est arrivé bien des accidents avant de me parvenir.
Lorsqu’elle est arrivée à Paris, je me trouvais à Auvers-sur-Oise, un ravissant petit pays, oùDaubigny avait fini par se fixer, un de ces pays qui ressemblent aux bonnes femmes, on n’y fait pas grande attention d’abord, puis on fini par ne plus pouvoir les quitter & par leur découvrir chaque jour de nouveaux charmes. – Ma portière en recevant la lettre me l’a adressée à Auvers, seulement comme elle est d’une époque où l’étude de la géographie était peu poussée à la « mutuelle » elle a confondu Auvers-en-Josas près Paris avec Auvers-sur-Oise. Au bout de quinze jours la lettre est revenue à l’auberge Caffin que je venais de quitter. Le bon Caffin qui croit toujours comme les paysans, qu’une lettre cela
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peut attendre, a attendu mon retour à Auvers pour me la remettre. Et voilà comment je ne l’ai « en mains propres » que depuis deux jours.
Comme je pars pour Bruxelles, pour y passer une douzaine de jours, vers le milieu de la semaine prochaine, je ne vous enverrai pas le croquis demandé avant d’avoir vu l’encadrement du St Antoine. J’espère que je vous trouverai à Bruxelles & que nous ne ferons pas un chassé-croisé entre Bruxelles & Paris. – Je vous écrirai dès que je serai à Bruxelles, & je suis tout à votre disposition pour aider à l’ornementation de cette fantastique « Tentation » pour laquelle je vous avouerai naïvement que j’ai un faible.
Quant venez vous voir notre Exposition ? – La Belgique se tient bien sur ses ergots, & chante une belle note dans le concert. On a fait beaucoup d’agitation à ce qu’il paraît, chez nous, à propos de Stevens, & de Wauters, & le brave Camille Lemonnier a dit même, que Paris s’était indigné des décisions du Jury Belge. Je vous assure Mon Cher Monsieur Picard qu’il n’en est rien. Stevens n’a pas une bonne exposition voilà tout. Quant à cette émotion & cette indignation prétendues je connais presque tous ceux qu’on est convenu d’appeler « les Jeunes » et je vous assure que ces choses là les laissent froids, & qu’ils ne croient pas que ni
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la Modernité ni l’Art soient ébranlés par les décisions de Jury. Cette agitation ne passe guère l’arrière boutique de certains marchands de tableaux créanciers de Stevens, & l’importante question des gros sous, – la monnaie de la gloire, – est plus en jeu qu’autre chose. On devrait simplement sourire de ces criailleries de forains qui triquent à la toile, pour mieux la vendre. Les grands artistes comme Millet, Corot, Rude Daubigny, & cet austère & merveilleux Barye, ont toute leur vie pâti de leur génie, se trouvant assez heureux de n’en pas mourir. Les avez vous vus comme Stevens se faire perpétuellement plaindre par les petits journaux & geindre à tout propos ? – On dirait réellement que toute la gloire artistique de la Belgique repose dans la boîte à couleurs d’un seul peintre, & que nul autre chez nous ne sait son métier ! Quant à Stevens & à la « Modernité » (mot stupide d’ailleurs, parce qu’il ne signifie rien, n’est d’aucune langue & a été créé pour les besoins de la boutique d’Arthur & Cie,) – nous pensons ici que la modernité Stevens n’est pas plus la meilleure des modernités, que le Chocolat-Perron n’est le meilleur des Chocolats. La modernité Stevens est une bonne modernité : calmante, tonique, constitutionnelle, peu échauffante comme le Chocolat Perron est un bon Chocolat. Voilà tout.
Mais on pense qu’il y a bien d’autres modernités ! & bien plus élevées, bien plus intéressantes, bien plus humaines que cette modernité qui ressemble bien souvent
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à des réclames de Worth ; – que les gens qui s’appellent Nittis, Bastien-Lepage, Tissot, Degas, Gerveix, Monet, Beraud, Forin & toute cette admirable école d’artistes anglais qui commence à Herkommer pour finir à Keen en passant par Gregory, Millais, du Maurier. Paterson Barnardt & vingt autres qui ont fait depuis dix ans cent très belles œuvres ont bien aussi leur « modernité » à eux, S.G.D.G., & qui ne doit rien à personne !
C’est que vraiment c’est irritant, cela nous donne à l’Étranger, en France & partout, une réputation de gobeurs qui est difficile à supporter. Stevens est Commandeur de l’Ordre Léopold &c &c. Je ne vois plus qu’une chose c’est qu’on le nomme roi des Belges pour avoir peint excellemment – dans le temps, (car c’est bien mièvre aujourd’hui) de superbes robes de velours & de soie de différentes couleurs regardant des bijoux japonais de différents tons ! –
Et soyez persuadé que je suis dans le vrai. Il s’agit au fond découler un stock de tableaux qu’Arthur, Brame, Vanderdonck & Prosper Crabbe voudraient livrer à un joli prix. D’où l’agitation !!
Je vous serre la main bien affectueusement.
À bientôt j’espère
Félicien Rops
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P.S. J’entre tout à fait dans votre idée de figures « religieuses » pour les volets comprises comme vous l’entendez.
Vous avez raison de ne point venir à Paris pour le moment. Il y fait horriblement chaud Le vrai mois sera Septembre ou fin Aout commencement de Septembre.
Détails
Support
2 feuillets, 5 pages, Lisse, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
AML
Personnes citées

Félicien Rops

Camille Lemonnier
Edmond Picard
Jean-Baptiste Camille Corot
Edgar Degas
Giuseppe De Nittis
Claude Monet,
Emile Wauters
Alfred Stevens
Arthur Stevens
Jean Béraud
Jean-François Millet
James Tissot, dit Jacques- Joseph
Jacques Emmanuel Prosper Crabbe
Hector Brame
Henri Gervex
Charles-François Daubigny
Hubert von Herkomer
Louis Henri Forain
Jules Bastien
Vanderdonck
Antoine-Louis Barye
Philippe Eugène Ferdinand Marie Clément Baudouin Léopold George de Saxe-Cobourg Gotha
John Everett Millais
Gregory
Commentaire de collaboration
Chocolat-Perron est un chocolatier qui était installé au 14 Rue Vivienne à Paris. Selon le journal Le Vert Vert du 17 mai 1853, il était un chocolat bon marché mais fut néanmoins récompensé d'une médaille à l’international, au moment de l’Exposition universelle de Londres en 1851.