Numéro d'édition: 2127
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Paris
Date
1882/12/02
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6714/21
Collationnage
Autographe
Date de fin
1882/12/02
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Paris 2 Déc 1882
Mon Cher Vieux
Je dois t’écrire depuis une dizaine de jours d’abord : pour te prévenir que tu ne viennes pas à Paris – comme tu devais y venir, – avant le 25 Décembre parce que le quinze Décembre, Uzanne & moi nous partons pour Douvres & pour Canterbury Nous allons reprendre Clairette la bàs. Ses grandes vacances d’hiver commencent. Enfin je voulais t’écrire à propos de la « question Bonvalot ».
– Cette « question » est restée de ta part en suspens d’une façon que tu trouves « très originale » mais dont les conséquences retombent fatalement sur Aurélie, sur Léontine & sur moi.
Il est très simple puisque tu nous a mis presque de force (– rappelle-toi que je ne voulais pas demander à Léontine ni à Aurélie de s’occuper de cette histoire, ni de servir d’intermédiaire entre toi & MlleBonvalot, – & qu’elles ne l’on fait que sur tes absolues supplications) dans cette affaire, que tu as traitée comme tu traites toutes les affaires de ce genre, avec une légèreté de vieux gamin ; tu nous dois de terminer d’une façon nette, polie & sans ambiguité.
Il est d’usage d’écrire au père de la jeune fille.
Il est peu difficile d’écrire une lettre comme ceci :
Monsieur
« Ma conduite vis à vis de vous & de votre
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famille a du vous paraître singulière mais dans le cours de la correspondance que j’avais été autorisé à échanger avec Mlle votre fille, je me suis aperçu que certaines dissemblances de caractère ne me permettraient peut être pas de donner à MlleBonvalot tout le bonheur qu’elle mérite.
Je vous exprime ici, ainsi qu’à MmeBonvalot tous mes regrets. etc &c. »
Je ne sais pas si tu t’en doutes, mais je t’assure que cela se fait dans tous les mondes, – depuis l’ambassadeur jusqu’à l’égoutier. Tu nous a causé beaucoup d’ennuis pour l’échafaudage de ton bonheur conjugal, c’est bien le moins que pour nous, si tu ne le fais pas pour toi, & pour MlleBonvalot, tu accomplisses cet acte de politesse, élémentaire pour tout le monde, mais héroïque pour toi, probablement.
Si tu étais quelque fois préoccupé d’autre chose que de toi-même, tu aurais dû comprendre combien devait être pénible à une jeune fille, qui n’avait rien fait pour cela, la position tout à fait fausse dans laquelle tu la mettais. – Il ne faut pour cela qu’un peu de tact ! Je sais qu’on ne peut guère t’en vouloir, & que la nature prodigue de ses dons envers toi, t’a refusé celui là, qui est aux autres ce que le vernis est à la peinture ; mais avec le simple bon sens du commun des mortels, tu aurais pu avoir l’intuition que la niaiserie de ta conduite allait retomber sur MlleBonvalot & sur Léontine, intermédiaire.
Page 1 Verso : 3
Un enfant de trois heures aurait saisi cela ! C’est cependant bien clair :
Le père Bonvalot lui ne tient pas beaucoup à l’honneur de ton alliance. Il trouvait qu’épouser un Mr qui pouvait être une fois ½ son père était une folie que sa fille ne devait pas faire. La mère Bonvalot laissait faire sa fille. Quant on a vu que ce Mr qui avait paru si peu, qui devait écrire au père, & qui n’écrivait pas, ne donnait plus la moindre nouvelle, cela a paru, (et cela devait nécessairement paraître) plus qu’étrange. – À force d’y réfléchir les parents, malgré toute leur confiance dans leur fille y ont vu autre chose : c’est que ta démarche n’avait d’autre but que de faire donner plus de liberté à leur fille, que Léontine favorisait peut être des entrevues &c &c & de là à la pensée de parties carrées ou rondes il n’y avait qu’un pas. Mes antécédents, la position peu régulière de Léontine, l’incohérence de ta conduite, tout cela y aidait, & le pas a eu lieu !! D’où les mots « piquants » à ma femme, les reproches les surveillances injustes, les soupçons bêtes & blessantes etc etc s’adressant soit à ma femme soit à cette pauvre fille qui est l’honneteté & la vertu mêmes, & qui n’a eu qu’un tort de croire que tu pouvais être un homme dans la vie, ce que toutes les femmes rêvent naturellement. Elle se trompait.
– Tu vois que tu as assez fait de mal par ton éternelle indécision & par cette belle veulerie qui s’est développée en Belgique comme un champignon dans une cave, pour que tu nous accordes une légère réparation.
Je compte que ton amitié tient assez à la mienne pour lui faire cette concession.
À toi & à bientôt
Fély
Tourne
Page 1 Recto : 4
N’oublie pas qu’il y a un mois que tu m’as encore dit que « tu allais envoyer à MlleBonvalot une lettre d’explications. Rien n’est venu Note que je suis de ton avis : Ce n’est pas parce qu’on s’est présenté aux parents d’une jeune fille qu’on doive l’épouser, mais, il y a une chose éternelle c’est de l’expliquer « franchement & poliment avec les égards ordinaires » ! & sans ambiguïté. Tu as peu vu MlleBonvalot ces lettres que Léontine a lues, – non pas à l’époque où elle te les écrivais mais il y a quelques semaines, – sont les lettres à ce qu’il paraît, d’une fille honnête & intelligente, mais tout cela ne signifie rien. Tu ne veux pas te marier probablement. Seulement, seulement ! nous avons assez pâti de tes grossièretés inutiles, & l’on te demande d’y mettre un terme. Voilà tout ! Cela n’est pas énorme ni difficile à faire.
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Gris.
Mise en page
Écrite en Plume Noir. En-tête: Chimère bleue - estampée.
Copyright
KBR