Numéro d'édition: 2108
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
s.l.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6714/2
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
11/1879
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Comprends pas du tout !! Il faut que le bât te blesse rudement pour pousser ces cris de paon ! – Tu me reproches un défaut ou pour mieux dire une faiblesse qui me cause un grand préjudice et je te reproche – avec les mêmes droits une faiblesse égale qui te cause à toi un grand, – un bien plus grand préjudice que ma paresse ne m’en cause ! J’ai dit mot à mot ceci effectivement : « J’ai trouvé bon de ne rien faire à Anseremme c’est un tort, – tu trouves bon de te promener dans la ville de Bruxelles avec des demoiselles agées & entretenues c’est un tort plus grand » Mais si un ami de mon âge & de mes chevrons n’avait pas le droit de dire cela où seraient nos relations depuis longtemps ? – Je n’ai qu’à affirmer ce que j’ai dit et si tu entendais Mon pauvre Vieux la façon nettehonteuse pour toi et un peu pour moi par conséquent, car notre vieille amitié nous faisait je le croyais un peu solidaires, et quand les gens les plus indulgents, les moins
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bégueules, les plus viveurs méprisaient ta conduite il me semblait en recevoir des éclaboussures ! Et il n’y a pas d’exagération aucune exagération ! les mots sont les mots, & les faits sont les faits. – Du temps de Stany c’était pis encore, du temps de Mr Je ne sais qui, c’est la même chose ! – On pardonne certaines choses à 18 ans, à l’Université, - on ne les pardonne pas chez de vieux birbes comme nous qui auront dans six ans des filles à entrer dans le monde. – Quant une fille ne peut pourvoir à sa subsistance qu’en se louant au mois à Mr ***, on ne double pas Mr *** !!! même en faisant les petits cadeaux qui entretiennent cette amitié ! – lorsqu’on est âgé de 36 ans & qu’on est homme mûr & père de famille. – D’autant plus que cela se passe – à ton endroit, – avec une fille trop connue & dont René Rorcourt nous racontait dernièrement les faits et gestes de 1860, & dans lesquels il avait joué un fort rôle, – il y a quinze ans.
Je ne te dis pas que l’on ne t’ai pas passé facilement cette galimafrée amoureuse si elle n’avait duré que quelques mois, c’était une fringale, & tous nous sommes sujets à cette infirmité. Mais une liaison dans de pareilles conditions & à Bruxelles en Brabant c’était d’une niaiserie & d’un grotesque sans nom ! – Mon opinion donc est partagée par tous tes amis, elle n’est donc pas une chose étonnante du
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tout, et tous, ils étaient franchement heureux de te savoir il y a quelques mois débarrassé de cette affection honteuse & entamée & ils qualifiaient ton cas d’une façon simple. – J’en étais moi si heureux & si franchement content que j’en avais écrit à Gouzien. Avant-hier il me demande : He bien ? enfin Dom a eu le courage de lâcher son immondice et de se débarrasser de son vieux collage ? – Je lui dis que non, & qu’après avoir versé des larmes sur l’abandon de cette jeune fille intéressante, tu t’étais haté de courir après ses jupons ! – Il en était renversé, moi pas, – cela devait arriver. – Tu l’épouseras ! C’est du reste la chose la plus honnête qu’il y ait à faire là dedans !
Il ne m’est jamais venu à l’idée que je pourrais me brouiller avec un ami – et un véritable, – pour une gueuse, & même pour une jeune fille honorable. Il parait que tu fais facilement ces choses là. – Je ne te croyais pas arrivé là franchement, la maladie a fait des progrès et est plus forte que son homme. Ce que tu me dis ne m’inspire aucune colère et n’altère pas mon amitié pour toi. Je ne sens qu’une profonde pitié pour ton état. Quand tu seras mieux, si tu guéris, tu me retrouveras tel que je suis et tel que je reste pour toi.
Je ne sais pas si j’ai au fond du cœur une méchanceté noire, en tous cas tu as mis bien du temps à t’en apercevoir !! trop de temps ! Tu as tort de citer les mots de
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ma femme c’est maladroit de ta part : ces mots là étaient dictés par un juste ressentiment de mes fautes, fautes dont elle soupconnait l’existence mais dont elle n’avait acquis la certitude que par toi, par une trahison d’amitié que je t’avais d’ailleurs pardonnée.
Ces mots làelle seule avait le droit de les prononcer, parce qu’elle avait beaucoup souffert par moi.
C’est la seconde fois que nous nous brouillons pour cette « fille gaie » du moins que tu te brouilles avec moi. – C’est trop de deux, & nous lui faisons un honneur étonnant, – ce qui lui viendra à point. Tu ne te lasses pas d’être ridicule et tu l’es crois moi. faisons un pari : si Un seul de nos amis trouve que j’ai eu tort et que tu n’es pas ridicule je te fais des excuses. Car tu manques de gloire en tout cela, sois en persuadé & on est loin de t’envier. On trouve que tu peux avoir mieux & d’une façon plus propre & moins valétudinaire. J’en reste pour ce que j’ai dit & Gouzien en arrive à dire comme moi moi en commençant ma lettre : Comprends pas du tout !!!
C’est trop triste pour toi, de Comprendre.
À toi quand même – tu guériras, je l’espère mais prends garde, j’ai été bien bas, mais pas si bas !
Fély
Tu comprends que je ne suis pas assez bête que de mêler à cela les questions d’argent mais tu peux aller de confiance chez Victor. Il m’a rendu souvent service & moi de même – Vas-y tu me feras plaisir.
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Je relis ta lettre et je comprends de moins en moins. « Lâcheté » « infamie » tu es risible Mon pauvre Vieux, quand on dit ces mots là on les explique ou l’on est un enfant criard. Lâcheté de quoi ? infamie de quoi ??? Pour t’avoir écrit que tu te promenais dans Bruxelles avec des filles vieilles et entretenues ??? Allons donc ! Cela es-t-il vrai oui ou non ?
???
Si cela est vrai de quoi te plains-tu ? – Je t’en ai dit vingt fois plus et je peux t’en dire, avec preuves à l’appui, si tu veux que je t’y mettes le nez, cent fois plus ! – Et tu n’as jamais songé à te facher pas plus que je ne me fâcherais de tes dires en pareille occurrence ! – Je t’en ai écrit même à ce sujet vingt fois !
Tu es toqué ma parole d’honneur, faudra-t-il se laver les mains pour parler de cette fille là ! c’est trop bête, non c’est trop bête !!
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR