Page 1 Recto : 1
La Guymorais par St Méloir des Ondes (Ille & Vilaine)
Mon Cher Monsieur Deman
Nous arrivons ici avec mon gros cousin Demolder de retour d’une excursion à travers ce que nous appelons la Bretagne archéologique : Rennes, Vitré, Fougères, et le Mont St Michel. Votre lettre m’arrive aujourd’hui & nous allons en causer à la bonne franquette.
Je ne peux dès l’abord, aucunement publier à nouveau le frontispice en question, sans une lettre de Stephane Malarmé à moi adressée, qui me demande de remettre en lumière cette planche.
Songez que j’ai une responsabilité vis à vis des premiers acheteurs qui ont payé fort cher l’édition publiée par Dujardin, et ne l’eusse peut-être pas payée ce prix là, s’ils n’avaient pas eu une presqu’assurance que cela resterait « une rareté ». C’est fort délicat.
– Au cas où Stéphane Mallarmé veuille bien assumer cette responsabilité, et m’en dégager, moi, je mettrai à votre disposition un certain nombre d’épreuves égal au nombre d’exemplaires que vous publierez aux conditions suivantes : Je dois faire faire une photogravure du dessin (lequel dessin, qui appartient à ma femme, est actuellement à l’exposition
Page 1 Verso : 2
de la Plume, à Boulogne Sur Mer, ce que je n’ai pu refuser à Deschamps, mais le dessin va rentrer.) mon photograveur, le meilleur d’ici, c’est Dujardin, me fera la planche, je la retoucherai au vernis mou j’y ajouterai des marges gravées par moi, également au vernis mou, et je vous ferai une planche dans le genre de celle que j’ai faite pour Jean de Tinan, dans le livre qui a paru chez Bailly, à la librairie Indépendante.
– Pour cette planche et pour les frais qu’elle nécessite, je vous enverrai la note de Dujardin, vous lui en enverrez le montant au reçu de la première épreuve, et voilà !
La planche restera ma propriété et je serai libre de l’anéantir ou d’en faire ce qu’il me plaira. Les épreuves seront tirées par Nys dans mon atelier d’où la planche ne sortira pas. Les épreuves seront numérotées par moi, (je parle des épreuves avec marges pour les exemplaires rares.) – Nys vous présentera sa note, vous pouvez d’ailleurs lui demander dès aujourd’hui ses conditions. Je crois du reste qu’il doit aller en Belgique vers le 10 ou le 12 septembre & il doit aller aussi vous voir. Voilà mes Conditions simples comme vous voyez, je ne demande rien pour mon travail.
Un mot s.v.p., & bons et affectueux Compliments, transmettez les je vous prie à MmeDeman.
Demolder se joint à moi de tout son poids.
Félicien Rops
Je suis encore ici pour douze jours.
Commentaire de collaboration
À la demande d’Edmond Deman, Mallarmé adresse à Rops, en date du 7 septembre 1894, la lettre suivante : « Mon cher Rops, / Où que vous soyez, une affectueuse poignée de mains, et ce billet à l’instigation de Deman. Je prends sur moi de vous demander que vous veuilliez bien l’autoriser à reproduire, devant une édition imprimée qu’il va faire du premier cahier de mes vers, votre chef-d’œuvre ouvrant l’édition photogravée de Dujardin. Ce frontispice, une de vos pures œuvres et ma constante admiration, est, selon moi, inséparable de l’humble texte qu’il décore, ou, du moins, lui confère un tel honneur ! / Votre silence peut dire oui ; afin de ne pas vous obliger à une lettre qui toujours représente un léger supplice. Excepté dans mon cas, où j’ai le plaisir de me dire / Votre / Stéphane Mallarmé » (Corr., t.VII, p. 50-51).