Lettre de Félicien Rops à [Edmond Picard]

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Mon imprimeur Delâtre me fait savoir qu’il ne peut commencer le tirage de mon eau forte avant le 18 avril. Je vous demanderai donc quelques jours de répit. Je tiens à mon imprimeur. C’est un artiste, il aime ce que je fais et il apporte un soin tout spécial à mes tirages. C’est presqu’un demi Collaborateur. – Je n’ai pas encore pu vous développer ma petite idée. – Je travaille fort & je suis un peu fatigué de mon hiver. – Cela ne m’empêche pas de ruminer le plan d’un petit journal bizarre, qui vous surprendra je crois par sa forme entièrement neuve. (Cela n’a aucun rapport avec « ma petite idée ») Cela va être une suite de lettre adressées à mes amis à propos de tout ce qui me passe

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par la tête & tout ce qui me tombe sous l’œil. Et cela à la bonne franquette, – notes & croquis sans prétention. Cela sera écrit et dessiné à l’eau forte. Douze lettres par an. – Cela n’intéressera que ceux qui voudront s’y intéresser, voilà tout. – 2 frs ou 2 frs 50 par N° composé de huit pages écrites & gravées ; au moins dix eaux-fortes par lettre – 150 eaux fortes pour 30 francs, – mais cela sera une rareté & un régal à curieux. Voilà pour le côté matériel. Coté intellectuel : « Tout ce qui tombe sous l’œil ou dans l’oreille d’un homme intelligent & bien élevé qui irait partout » comme je vous le disais tout à l’heure. – J’écrirai à mes amis & à mes amies avec des croquis en marge, & quand nous serons très vieux nous relirons avec un doux sourire ces folies des jours vécus. Et puis, je ne veux pas devenir trop grave, (j’ai toujours trouvé que la gravité ne prouvait pas plus la sagesse qu’un col en papier ne prouvait une chemise,) et il faut réaliser ses rêves, leur donner une forme tangible. Je sais bien qu’on ne fait jamais ce qu’on

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« voulait faire » et ce qu’on « voulait faire » ce n’est guère que l’imagination qui le fait ; mais il faut toujours, faire, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, les enfants que l’on a fortement envie de faire. Voilà mon opinion. Et j’ai envie de faire un journal à moi.

LE JOURNAL

de

Félicien Rops

on trouvera cela prétentieux, vaniteux &c &c &c et mes bons ennemis que j’ai semé tout le long de ma vie comme le Petit Poucet semait des cailloux pour savoir où il avait passé, s’en donneront des esbaudissements ; mais ces esbaudissements me charment d’avance.

– Il n’y a rien de plus simple : je dis à mes amis ce que je fais & ce que je vois donc Journal dans l’expression française du mot, – Journal de Félicien Rops.

– Me voilà encore que je me prends la main dans mon sac à bavardages. À propos, comme je vous l’ai dit je vous fais des portefeuilles. Gardez moi vos amis amateurs, & garez les de Bonvoisin, il promène maintenant une

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forte collection de moi. – Il a beaucoup de pièces curieuses & beaucoup viennent de moi, mais il ne peut faire les collections que je ferai, & je tiens à ce que mes collections soient bien placées. – La sienne est très belle.

S.V.P. N’oubliez pas d’allez voir mon Cochon & ma femme, chez Taelemans à la première occasion, c’est une chose assez curieuse & je me suis appliqué à faire de mon mieux.