17 janvier 1893
À Monsieur F. Rops,
Paris.
Je n’ai pas immédiatement accusé bonne réception de votre premier envoi, attendant selon votre promesse la lettre annoncée : votre si bonne, si chère, si affectueuse lettre.
Elle m’est venue hier et depuis, deux fois, j’ai essayé de vous répondre sans y parvenir : je ne savais pas, j’étais trop content. Comment voulez-vous donc que je vous remercie de semblables preuves de sympathie et de ces paroles de bon conseil !
J’ai tant douté jusqu’ici : ballotté par des contradictions ; dérouté par des essais n’aboutissant pas ; me heurtant à des refus.
Et aussi, certains que j’avais cru de hauts cœurs d’artistes, m’avaient tant déçu avec d’inutiles paroles, de banales considérations, que, malgré moi, je craignais, lorsque Rassenfosse s’offrit à me présenter à vous et malgré les assurances qu’il me donnait.
Mais elle fut si passagère cette crainte : quelque chose de fort et de vrai émanait de vous-même : je vous sentis certain.
Et, quand dans votre atelier, un matin, en très peu de mots vous avez résumé ce que j’attendais, je ne doutais plus. Et je compris mieux, par la suite, ce qu’est un artiste : un vrai. Et votre lettre est venue encore m’encourager, mieux que personne ne l’a fait avant vous.
J’irai sans inquiétude maintenant, seulement, comme je n’ai pas encore du métier pour un million, j’en achèterai, et lorsque je n’entendrai rien, je ne tâcherai pas de redire.
Merci à vous, toujours.
Et je regrette de n’avoir rien à vous envoyer pour le Barc de Bouteville où vous voulez m’introduire : je me permettrai de ne pas oublier cette offre. Y exposer le panneau, à vous : ce sera des transports et un tas d’ennuis, et vous avez déjà tant fait pour moi ! Au reste, agissez comme vous le croyez le meilleur.
Et puis votre commande m’a porté bonheur j’ai à commencer 7 panneaux pour une salle, chose rare, bien disposée pour recevoir une décoration.
Aussi je dois (et l’on me presse) historier tout un album avec un frontispice disant la « Géologie » – bordures et culs-de-lampe avec d’antédiluviens coquillages. Et je suis curieux de savoir si cette nature d’avant les hommes va me chuchoter quelque chose.
Fin mai ou commencement de juin, j’espère bien aller à Paris : ce sera le pèlerinage annuel : le bon voyage d’où l’on revient plus courageux : parce qu’il y a là de bons cœurs accueillants et quelqu’un qui sait dire merveilleusement les bonnes paroles de Vérité.
Aug. Donnay