Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]

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Je t’écris de l’Érié – « l’Irie » des Américains, je viens de Toronto dans le Canada, je me suis embarqué à Charlotte sur le lac Ontario pour Toronto après avoir naturellement visité les Chûtes ; qui sont déja à 150 lieues de New-York. C’est évidemment très beau, seulement, les gravures & même les photographies ne rendent en rien l’aspect de la Chose. C’est un endroit sinistre encaissé dans les rochers, ce qui fait qu’au premier abord, on en perd le Nord. on n’a pas idée de l’imbécillité des peintres, des topographes & des photographes ! – Enfin tu la connais cette sottise ! Me voici maintenant sur l’Érié à Buffalo qui en 1858 était un repaire de voleurs & de fabricants d’of-meat errants, devient déja une grande ville & deviendra la capitale des lacs de l’Est, comme Chicago dans l’Ouest, sa situation s’impose – ce sera une « City ».

Les grands lacs sont extraordinaires d’aspect : ce sont des « mers du Nord » à côtes boisées & collineuses. Absolument le ton, l’aspect & les vagues de la mer, à Heyst ou à Knocke. Artan serait chez lui. Mais une autre lumière & une autre coloration de ciels. Ceux ci pleins de Bleus-Verts étranges, déja polaires. – Il fait très froid ici & les automnes indiens de New-York sont loins ! Je vais m’embarquer sur the Mammouth qui va nous transporter à Sarnia sur le lac Huron, nous traverserons le lac Huron & Georgian Bay & nous entrerons dans le lac superieur qui est grand comme la méditerranée à peu près, & nous aborderons à Arbland puis nous reviendrons sur nos pas, nous gagnerons l’Ottawa river – le st Laurent, Montréal & nous regagnerons New York par le lac Champlain et Albany. Tout cela sera fait en dix jours !! Dans le lac supérieur, les côtes & les îles sont merveilleuses à ce qu’il paraît.