Lettre de Félicien Rops

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Je suis persuadé d’avoir mis dans ta lettre le mandat-poste, je n’en serais pas persuadé si je l’avais mis seul, mais ce mandat a été pris au bureau par Marie Duluc, puis je l’ai mis dans la lettre vis-à-vis d’elle, en gardant le reçu. – Renvoie moi la lettre je te dirai si c’est celle-là as-tu encore l’enveloppe ? Elle a dû t’arriver le 2 avril. Informe-toi d’abord si l’argent est encore au bureau d’Ixelles, point important, & pour lequel et sur lequel, le rhinocéros qui sert d’employé supérieur à l’administration postale de la rue d’Amsterdam demande un renseignement immédiat.

Je ne te prendrai pas ta place à la Vie Moderne Mon Vieux, c’était une ficelle pour avoir un passe. – Je suis chroniqueur errant. – Je verrai Bergerat demain. As-tu eu le premier N° ? – Quant aux Stevens, Mon Cher Ami, c’est toi qui fulminais à l’Exposition et justement devant la bêtise des sujets et la mauvaise exécution des susdits. Je n’ai moi jamais eu ni rancune, ni envie & tu me connais assez pour savoir que ces petitesses ne m’entrent ni dans l’esprit, ni dans le cœur » : J’admire Stevens quand il est admirable, & je ne l’admire pas quand il ne l’est pas. En plus, je m’irrite de la charlatanerie plate qui entoure cette famille Stevens et qui s’en émane ; et mon vieux tempérament de journaliste Uylenspiegeleur s’en révolte et courrait sus si j’avais « un organe ». Tu en as un, j’estime qu’il est plus digne et plus crâne de rompre, – quelque soit ton scepticisme transitoire & à fleur de peau, – une plume pour une bonne cause que d’engueuler Lebrocquey qui succombe sous tes coups ! – Quelque grief que nous puissions

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avoir contre notre belle patrie, et en si peu d’estime que nous tenions nos compatriotes, il y en a beaucoupqui ne sont point des de ceux-ci, qui ne sont pas des imbéciles, qui sont au contraire des gens de talent, de nos amis, puisque nous avons beaucoup vécu avec eux, et qu’il est bon de défendre. – Je t’ai vu – naguère – prendre feu pour des causes & des gens bien insifiants et même aussi ridicules les uns que les autres. Je crois qu’à ta place – dans la Chronique même (!!!!) il y a autre chose à faire que ce que tu y fais. Voilà mon advis en ma petite jugeotte. – Tu étais dans le vrai quand tu faisais ton article de L’Art Libre, & il est bon de faire ces choses non pour le résultat qu’on en obtient et qui est douteux ; – quoiqu’il y en ait toujours un ! – mais, pour s’affirmer à soi-même. qu’il est agréable, toujours, de dire ce que l’on pense des hommes et des choses, et surtout pour constater qu’on a encore le goût de le dire. – Je demandais à Malassis qui me disait ne plus aimer réellement les femmes si c’était par épuisement de tempérament que ce phénomène arrivait. – Pas du tout m’a dit Malassis, je crois que les facultés viriles durent longtemps mais le goût se perd, et l’effort moral devient difficile.

Ne nous laissons perdre le goût de rien !

Tu es trop loin de Paris, – (du reste on en est loin à Creil,) pour savoir le grand, le vrai mouvement d’art moderne, et « mouvementé » qui est ici, sans cela, tu aurais trouvé plaisir pour toi-même, à dire le premier, à propos de ta visite aux Stévens, quelques vérités aux artistes Belges, à nos amis Rousseau & Leclercq ; – c’était, – de même que l’article que tu aurais pu faire sur Aubanel, – plus intéressant pour toi et pour d’autres aussi que de secouer les cléricaux de Nivelles. – Et puis tant pis si tu n’as plus le goût de ces choses ! Faudrait traiter cela.

L’Exposition des Indépendants (Impressionnistes) est ouverte, je voudrais que tu puisses y passer une heure – tu comprendrais que j’ai raison & que tu as eu tort, et que tu as encore tort de ne pas dire partout n’importe comment et n’importe dans quoi les vérités qui sont nos articles de foi et pour lesquelles nous avons, je m’en vante, beaucoup pâti & pour lesquelles nous souffrons encore

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– moi, du moins, car si je n’avais pas foi en l’Art Moderne & si j’acceptais de dessiner de jolies choses Louis XV ou Charles IX je gagnerais de l’argent plus que je n’en gagne. – Bêtise peut être mais bêtise qui me plaît à faire. – Tu me dis que tu n’étais pas assez « passionné » pour prendre fait et cause & batailler pour des questions d’art, hé bien Mon Vieux encore une fois tant pis. – Tu as raté une occasion de bien dire & de bien faire, voilà tout ce que je veux prouver, rien autre encore. Tu répareras cela.

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