Numéro d'édition: 2782
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
s.l.
Date
1887/10/01
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/468/203
Collationnage
Autographe
Date de fin
1887/10/01
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
1er. oct 1887
Mon vieux,
Nous sommes le 1er octobre & par une jolie pluie mêlée de flocons de neige, nous rasons le cap Reace, la pointe méridionale de Terre Neuve. Depuis trois jours le tangage & le roulis secouent comme un prunier le bon dessinateur Félicien Rops, lequel heureusement a l’estomac solide & le pied marin du Club Nautique de Sambre-&-Meuse ! – N’importe ! je ne m’explique pas le besoin de pousser cette terrible pointe au Nord. Les officiers me disent que s’ils le pouvaient, ils passeraient audessus de Terre Neuve. tellement les courants sont terribles au Sud, & retardent la marche du navire. Le temps est toujours, ou presque toujours mauvais à Terre Neuve, même en été. C’est le cap Horn du voyage. Le grand danger c’est d’être abordé par un des dix mille
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bateaux pêcheurs qui sillonnent les eaux du banc & qui couperaient notre « Bretagne » comme un sabot. Incompréhensible, mais c’est ainsi. Du reste je ne suis pas fâché de voir des bateaux. Deux choses me frappent depuis mon départ, d’abord la dimension des vagues de ce terrible Atlantique. Ce sont des lames énormes qui se creusent en montagnes & en vallées, & dont les vagues de la Mer du Nord ne peuvent donner une idée. La « Bretagne » danse ladessus comme une grisette à l’Élysée Montmartre, Puis : l’absence de bateaux ; du Havre jusqu’au cap Reace la première terre d’Amérique, nous en avons vu deux & à des distances extrèmes. Cinq jours de « ciel & d’eau » absolus, et chose singulière l’horizon parait près de vous, c’est fort étrange.
Ces énormes transatlantiques sont de simples merveilles, & marchent merveilleusement aussi. On a l’air de manger la mer. L’ennui c’est la brume ; la voix de « la Syrène » qui crie toute la nuit est sinistre. Dans l’obscurité ; lorsque l’on arrive à gagner le beaupré & que l’on s’accroche à la pointe du taillemer, l’énorme machine qui projette sur les vagues noires ses fanaux électriques, & qui danse dans les opacités en hurlant, est réellement d’un fantastique à la
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fois moderne & extravagant. Le soir, les filles, les joueurs de « poker » l’or sur les tables, les buveurs de ginger-ale, les allemands qui chantent dans les entreponts, les malades qui se tordent dans les affres du mal de mer, les Marseillaises criées par des Américaines qui vont dans les « Far-West » chercher des maris qu’on ne trouve que dans les romans d’Aycart, tout cela est d’une vision étrange & nouvelle, & l’on ferait le voyage vraiment pour la traversée.
Il paraît qu’au train où nous allons nous serons à New-York Lundi. Partis le Samedi 24. Arrivés le lundi 30 octobre, les nouveaux transatlantiques vont bien ! –
À bientôt Mon Cher Léon. Je vous embrasse tous. Il faudrait réellement avoir peu de chance pour échouer au port ! À bientôt j’espère
Écris moi poste restante à New York. ta lettre m’arrivera toujours.
À toi bien
Fély
Je vais remonter l’Hudson & gagner les Lacs par Niagara.
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir. En-tête: Paquebot Poste de la Bretagne.
Copyright
KBR