Lettre de Félicien Rops à [Paul Léopold Speeckaert]

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Excuse moi de ne pas t’avoir répondu plus tôt, j’étais à Fontainebleau où j’étais allé passer les premiers soleils. Je ne peux pas résister à cela, & depuis que je suis au monde, je file dans les bois au premier rayon de mars. Je t’ai dit mon opinion, l’an dernier à propos de ta suite de tableaux. « Il faut exposer cela d’ensemble & dans une salle à toi ». Je t’ai offert la salle de la Vie Moderne, & elle est toujours à ta disposition. Mais puisque l’affaire est faite & que tu as envoyé, il faut boire le vin puisqu’il est tiré & je vais me mettre en campagne pour ton tableau. Seulement les choses sont bien changées & ma petite influence indirecte en est fortement amoindrie. – Tu n’es pas sans ignorer que tout est boulversé ici. On a remis aux artistes – à une « société d’artistes » le soin de monter l’Exposition & « le gouvernement » n’a plus rien à y voir.

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Or, ma petite influence s’appelait : Gouzien inspecteur des Beaux Arts & Lafenestre Directeur aux susdits beaux Arts. – Ils sont tous deux sans vertu protectrice dans le cas présent. – Quant au jury, c’est un tohu-bohu de toutes les opinions, mais ou malheureusement l’influence académique semble prédominer. On ne sait pas ce qui va sortir de là. On dit que l’on acceptera que 2,500 œuvres d’art & il y a déja sept mille deux cents œuvres présentées !!! C’est fantastique & cela devient la bouteille à l’encre. Personne n’y voit plus clair. Je verrai Carolus Duran. Butin, Feyen-Perrin & ceux que je connais, & je leur recommanderai ton tableau, qui est une bonne & solide chose. Mais je garde mon opinion : Tu ne devais pas exposer un tableau seul et le mieux qui pourrait t’arriver serait d’être refusé net. On ferait alors un coup intéressant & qui obtiendrait l’œil & l’oreille du public. Il faudrait exposer toute la boutique. – L’œuvre est belle & tient d’elle même. On ne peint pas beaucoup de cette manière ni ici. ni en Belgique. Des salles je me charge de t’en obtenir gratuitement.

Tu vois d’ici le coup de ce jury de professeurs nommés par leurs élèves !! Quand leurs tableaux & ceux de leurs élèves seront placés & reçus, je me demande si le n°2,500 ne sera pas atteint. Alors – et les autres ? – Cette combinaison est plus mauvaise que toutes les autres parce qu’elle fait de l’Exposition de l’État, une exposition particulière. Une commandite, & rien plus. – Aussi l’an prochain il y aura ici vingt expositions particulières. Il y a une grande anxiété parmi les divers groupes artistiques je t’assure, & comme je te le disais : on ne sait pas ce qui va advenir de tout cela. Puis tous les artistes nommés ne se rendent pas tous au Jury, mais les gens « à élèves » n’en déplancheront pas. Vois-tu l’Ivrognerie arrivant devant MMrs Cabanel, Lehmann, Delaunay, Boulanger & tutti quanti, un jour où il n’y aura pas là un contrepoids de bons esprits & de juges honnêtes ? Ils le refuseront, comme ils ont refusé Millet, Courbet, Vollon. Ces gens là ont comme il y a vingt ans la même haine de la bonne peinture & la même peur des choses audacieuses.

Dans tous les cas je vais, et sans tarder, faire les démarches nécessaires & quoique je ne sois pas en odeur de sainteté, je ferai ce que je peux faire, et peut être aurai-je quelque chance de

réussite. – Quand tu viendras ne manque pas de passer au 76 de la rue Richelieu & ne perds pas de vue qu’il faut que tu fasses ici une exposition – à toi. –