Lettre de Félicien Rops à [Edmond Picard]

Page 1 Recto : 1

J’accepterais avec grand plaisir votre toute gracieuse invitation mais je suis accablé de besognes fort ennuyeuses. Je déménage ! J’ai loué ma maison de l’avenue à un monsieur, aussi pressé que de Charleroy, & qui veut absolument, & tout de suite, jouir des agréments que Bruxelles présente en ce moment – ce qui me paraît être l’indice d’une âme florianesque. C’est à cause de cela que je me suis refugié « petite rue Francart » dans l’appartement d’un de mes amis – qui est à Capri pour le moment. Demain, je fuis les noces d’argent, ce qui est un bien vilain mot pour exprimer une jolie chose, & je vais chez moi embrasser mon fils & l’engager à perséverer dans sa résolution de vivre en gentleman-farmer ce qui est la plus belle vie du monde, lorsqu’on n’est pas atteint de cette espèce de folie qui consiste à tâcher de rendre – à l’aide de couleurs préparées à cet usage – l’arbre & le nez de son voisin ; qui tous deux peuvent mourir sans essuyer cet outrage.

– Après cela je suis à peu près libre, & je serai très heureux de passer quelques heures en votre bonne Compagnie. Dites moi

Page 1 Verso : 2

je vous prie si vous comptez rester à Middlekerk jusqu’à la fin du mois, – j’arrangerai mon séjour à Thozée de façon à satisfaire à la fois « mes plaisirs & mes devoirs » ce qui, – m’assurait mon précepteur, est l’apanage de la pure vertu.

Puisque notre ami Sacré est la bàs, faites moi le plaisir s’il vous plaît de lui dire que je trouve son tableau très réussi, autant que j’ai pu en juger d’après une photographie vue chez son frère, – il doit savoir que si je ne suis pas prodigue d’éloges & je les fais toujours avec une entière franchise comme tout ce que je fais. Je suis très heureux de son succès & il le mérite.