Lettre de Félicien Rops à [Edmond Picard]

Page 1 Recto : 1

Ce n’est pas pour mon parapluie que je vous écris ! – mais pour vous remercier Madame Picard & vous, de votre tout bienveillant & affectueux accueil. Et il m’est arrivé à moi ce qui m’arrive toujours quand je me trouve dans des milieux trop sympathiques : je me suis mis à bavarder comme un collégien en sortie, ce qui a dû donner à Mme Picard une déplorable idée de ma tenue & de mon savoir-vivre. Pourquoi Cher Monsieur, n’avez vous pas chez vous pour jeter un petit froid de bon ton, une de ces têtes sur lesquelles on a, de prime abord le désir de poser un fort volume & de s’asseoir dessus pour contempler l’immensité des mers ? Vous êtes trop bien entouré vraiment & il n’y a pas moyen de se point livrer. Vous trouvez même le seul ministre des affaires étrangères qui ne soit ni gourmé ni solennel & qui reste aussi simplement aimable que s’il était un homme ordinaire, – des musiciens qui ne font pas gémir les instruments sous l’effort de leur beau talent, & un futur député qui ne sauve pas perpétuellement la Société ! Quant à

Page 1 Verso : 2

Mme Picard elle me permettra de lui offrir pour son album la délicieuse tache rose qu’elle faisait hier sur les sables blancs. Mon œil de peintre m’a consolé des bévues de mon esprit. – Et l’on s’étonne que j’en oublie mon parapluie ! Ah ma pauvre gravité ! Dire que je ne peux jamais donner de moi une opinion sérieuse que j’y tâche cependant ; & que je suis si bien, si convenable, si mesuré, & de profil si austère chez les gens ennuyeux ! Que voulez vous, mon cœur d’enfant fera toujours des farces à ce vieux