Numéro d'édition: 3490
Lettre de Félicien Rops à [Auguste Poulet-Malassis]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Auguste Poulet-Malassis
1825/03/16 - 1878/02/11
Lieu de rédaction
-
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
PU/LE/001
Collationnage
Publication
Aucune image
J'étais à Thozée, mon cher monsieur Malassis, lorsque votre lettre est arrivée à Namur, excusez-moi si j'ai mis trois jours à vous répondre. Je comptais aller à Bruxelles vers la fin de la semaine, mais rien ne me presse, j'aurai le plaisir de vous voir à Namur avec Charles Baudelaire, et de vous revoir à Bruxelles, je double mon plaisir, voilà tout. Baudelaire est, je crois, l'homme dont je désire le plus vivement faire la connaissance, nous nous sommes rencontrés dans un amour étrange, l'amour de la forme cristallographique première la passion du squelette. Il m'a fallu des raisons ridiculement sérieuses pour m'empêcher d'assister à ses dernières séances M. mon ex-tuteur avait posé sa candidature au Conseil Provincial ! Mon tuteur est une simple bête qui vit dans une espèce d'ivresse commerciale causée par l'abus du chiffre, il croit m'avoir sauvé de ce fameux échafaud sur lequel finissent fatalement les petits enfants qui font de la peinture, cela vaut bien ma voix ; ce qui me réjoui fort, c'est que dans cette « lutte électorale » mon tuteur « a été tombé d'une voix celle de Dubois Louis, artiste peintre à Biez, près Namur, cela m'a vengé un tantinet de cet échevin ponceau qui m'a empêché d'entendre Baudelaire. Et je reviens de Paris ! avec mes poches pleines de Parisiennes, des folles, des sombres, des étranges, des squelettables, je les ai fait poser, mais comme j'enrage de ne pas avoir encore assez de talent pour bien les rendre, ces terribles filles ; comment diable cet esprit qui s'appelle Gavarni a-t-il fait pour les trouver drôles et pour leur mettre à la bouche des plaisanteries roses a fleur de peau ? il ne trouve funèbres que les vieilles ? mais ce sont les jeunes qui sont formidables ! En voilà qui ont laissé toute espérance ; des fatiguées et des rassasiées, la vie leur a charrié de rudes émotions, tout cela a laissé sa trace sur les fronts et sur les bouches en rides et en maculatures sinistres, et ce splendide maquillage qui jette de chaudes lueurs sur tout cela, c'est réellement très beau à faire pour un peintre ou pour un poète, mais il faut savoir un outil comme Baudelaire il a saisi,
lui. Baudelaire aura sans doute été en Flandre, il sort de Paris et il a beaucoup voyagé, je suis certain qu'il aura été frappé par ces grands paysages placides, à l'abri des climats extrêmes où la vie plus uniforme semble se conserver mieux, elle n'est pas morte comme sous les pôles mais elle n'est pas ivre comme sous l'équateur, elle respire d'un souffle égal et sain, en récompense de sa modération elle circule doucement dans les horizons un peu voilés, dans les terres vertes et peu accidentées, dans les poitrines calmes des femmes, sans sortir de ses limites, sans se répandre avec éclat au dehors, en flammes, en cataractes, en volcans, en abcès, comme dans les régions où la terre violemment secouée imprime ses convulsions dans les choses et dans les âmes ; ce serait une belle action que de réunir dans le même lit une Flamande conservée dans sa glace, une Parisienne brûlée par l'homme, et une négresse brûlée par le soleil ; quand je serai un grand peintre, j'y songerai. Je suis au bout de ma page j'avais grand besoin de bavarder, mon cher éditeur, c'est un défaut parisien, vous vous êtes trouvé sous l'écluse et les prés n'avaient pas assez bu, je vous dirai qu'il y a huit jours que je suis au milieu des Ardennais des charrues qui croient en Dieu, mais rien de plus.
Je vous attends Dimanche ou Lundi, comme vous voudrez, mais arrivez par un beau jour écrivez-moi pour me prévenir j'irai vous attendre.
« Extrait de Bracquemond eau-forte (.)
Dites à Malassis que son voyage des Ardennes me charmerait mais que cela m'est impossible ; si je vais à Bruxelles, c'est tout le bout du monde pour moi cette année, seulement dites-lui qu'il m'écrive lorsqu'il aura l'intention de s'absenter. »
Mes amitiés aux amis de Bruxelles, puisque le Dieu (Priapus) vous a fait des loisirs, j'espère que vous resterez quelques jours à Namur, invitez de ma part M. Charles Baudelaire à venir passer avec vous ces quelques jours à la bonne franquette la Meuse est belle, savez-vous ?
Bien à vous.
Félicien Rops
J'ai écrit à Delvau une lettre d'injures à propos de son ridicule article de l'Autographe nous avons failli nous brouiller il l'avait fait pour « un bien !!! »
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