Lettre de Félicien Rops à [Edmond Picard]

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Je suis réellement fort confus de vous répondre aussi tardivement. Le printemps est ma mauvaise saison comme travail, les premiers soleils ont pour moi des attendrissements auxquels je ne résiste jamais et je me sens tourner en simple bestiau. Je voudrais avoir cent bras comme le géant Briarée pour embrasser la Terre & ce qu’il a de joli dessus. – Les premières pervenches, ces fleurs de J. J. Rousseau, me font toujours l’effet d’yeux bleus qui clignotent dans les taillis & je suis tenté de leur dire : passez votre chemin Mesdemoiselles, je suis un artiste honnête ! – Commençons par la dernière de vos aimables lettres : Je suis prêt à faire avec plaisir l’eau-forte de la mélodie de Van den Eeden, (bonne idée d’acheter une mélodie pour soi comme on garde une œuvre d’art) je peux vous faire cela pour le quinze avril, mettons le 10. – Je vous demanderai 300 frs pour le dessin & la gravure. Le dessin vous appartient c’est un dessin à la plume comme

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j’ai l’habitude de les faire lorsque je ne grave pas directement sur le cuivre d’après nature. Nous demandons plus cher aux éditeurs pour une gravure, mais les éditeurs sont nos ennemis naturels ! Deux petites conditions :

1° Je choisirai mon imprimeur de l’eau-forte. Je ne tiens pas à être gaché par un imbécile quelconque & vous savez l’importance du tirage en eau-forte. 2° La planche sera aciérée. C’est une dépense d’une vingtaine de francs mais la planche gagne « l’éternité ». Si j’avais su vos intentions plus tôt, nous eussions fait graver sur cuivre la mélodie & les marges eussent été couvertes de croquis.

Je vais tâcher de vous envoyer pour le quinze avril le grand dessin de Poulet Malassis : La Réussite. Il est arrivé mais je le repeins d’un bout à l’autre & il gagne beaucoup. – Je « bougerai » un peu à l’Enterrement au Pays Wallon aussi.

J’ai à vous parler fort longuement d’un projet intéressant que j’ai dans la tête, une combinaison, par laquelle je pourrais offrir à quelques amis, des séries de dessins dans des conditions tout à fait « exceptionnelles » comme disent les magasins de

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nouveautés ; et par ce moyen, je gagnerais une liberté d’allures & d’esprit qui me permettrait de faire de beaucoup plus belles choses que je ne peux en faire actuellement. C’est un projet fort intéressant je crois & vos conseils me seront tout à fait nécessaires. Demain ou après demain je tâcherai de coucher cela tout du long sur le papier, & vous me direz votre opinion, – et si vous avez une idée à coté, elle sera la bien venue. C’est très sérieux & je crois que mon avenir tout entier dépend de cette combinaison. – Vous m’avez dit de si bonnes paroles dans votre dernière lettre qu’elles m’autorisent à vous parler à cœur ouvert & à vous demander un vrai conseil.

J’ai été très heureux d’apprendre que mon croquis avait été de quelqu’utilité à Mme Picard & qu’elle avait choisi la Pulcinella. Je vous dirai que sans vouloir préjuger ni influencer son opinion, je l’avais dessinée à son intention, & j’espérais qu’elle choisirait ce costume. Je ne doute pas qu’il ait été agréable à voir porté par elle, le mérite du dessinateur n’arrive qu’en seconde ligne. Au bal des Artistes Dramatiques qui a eu lieu Samedi dernier, j’ai eu deux costumes très applaudis (ici une parenthèse pour apaiser les révoltes de ma modestie)

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le premier une Sauterelle verte porté par une grande fille maigre, & le second « Une tricoteuse de 93 » recouvrait à peu près Mlle Raymond la danseuse de l’Opéra qui portait d’ailleurs ce costume avec une crânerie anti-ordre-moralienne. –

Je suspends ma lettre et je la reprendrai demain & donnez moi le plus tôt possible la réponse je vous prie pour l’eau-forte Ne vous gênez jamais avec moi je vous prie si vous trouvez cela trop cher pour ce que vous voulez faire, dites le moi nous nous arrangerons toujours bien.