Numéro d'édition: 3096
Lettre de Félicien Rops à [Maurice Bonvoisin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23

Destinataire
Maurice Bonvoisin
1849/05/26 - 1912/03/27
Lieu de rédaction
Paris
Date
1877/11/29
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
Bon/LE/38
Collationnage
Scan
Date de fin
1877/11/29
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops
Page 1 Recto : 1
Paris 29 nov. 1877
Mon Cher Maurice
Mais je croyais que tu savais ce qui m’était arrivé !! Si tu as été à Bruxelles, Liesse ou Dom ont dû te dire la chose. Tu sais que depuis Juillet je me portais fort mal & que j’éprouvais des douleurs de tête atroces & qui donnaient surtout la note caractéristique de la maladie, si un malaise insupportable peut s’appeler « une maladie ». On attribuait la chose à bien des causes & on l’appelait de noms divers : Inflammation du Cervelet, – nervosité de la moelle épinière &c moi j’attribuais surtout la chose aux ennuis où m’avait jeté la bâtisse que tu sais, & au travail un peu violent que j’avais fait depuis novembre jusquen mai. (j’avais fait quatre grands dessins pour Gouzien dont deux Attrapages énormes, sans compter les petits dessins & le reste). Quand j’ai eu fini la Saisie qui était comme exécution le meilleur de ces dessins, j’étais exténué & deja mal portant & j’attribuais mon malaise comme je te le dis à un excès de travail & à mes désagréments de bâtisse. Le premier n’était que la conséquence du second. Pas du tout cela n’avait qu’un seul nom : Fièvre typhoïde & j’en sors heureusement ! – On m’a coupé à peu près la chose & je ne suis pas entré tout à fait en plein dans le nommé typhus. – Si tu avais eu en revenant de Bretagne l’inspiration de frapper chez moi tu m’eusses trouvé en plein délire, racontant les choses du monde les plus bizarres & les plus fantastiques. Je suis donc parti pour Thozée la veille je crois de ton arrivée ici. Arrivé à Thozée je me suis senti si malade, que je n’ai eu qu’une idée, – revenir vite à Paris retrouver
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mon brave Filleau, mon docteur. À St Quentin j’avais le délire ou à peu près, À Paris je n’ai eu que le temps de me coucher, de donner à une bonne petite camarade l’adresse de Filleau, & lorsqu’il est arrivé je déraisonnais comme un saint Genest quelconque. Il a constaté le typhus, en disant : « jamais je n’ai vu les prodrômes d’une fièvre typhoïde duré six mois & cependant il n’a jamais eu que cela dans la tête & dans le ventre » ! Puis il m’a veillé & au jour m’a donné des réactifs tellement violents que j’ai failli y passer. Enfin j’ai fait cahin-caha, mais beaucoup moins violemment que le début ne le faisait pressentir, une « fièvre thyphoïde ». Il y a juste un mois effectivement qu’elle a commencé, au bout de seize jours, plus tôt que d’ordinaire la fièvre m’a quitté, & me voilà « sorti d’hier » Je tremble un peu sur mes guibolles mais la tête est bonne & dans quelques jours je reprendrai mes travaux. Je n’ai somme toute rien fait de bon depuis six mois & la fin explique mes moyens – ou plutôt mon absence de moyens. – J’en devenais inquiet, je ne faisais littéralement rien qui me plût. Et j’avais bien des obligations à remplir. Sans compter les tiennes, j’avais à faire le dessin de Picart, (que je n’ai pas fait,) et pour le remplaçer, j’ai falicité par Taelemans la vente du dessin de la collection Gouzien que je considérais comme son meilleur : « L’attrapage. » – J’avais fait deux dessins de l’Attrapage à Gouzien. Le premier n’avait pas « la femme qui montre le poing » Gouzien m’a prié de lui compléter la chose & de recopier ce dessin en y ajoutant la femme. Cela m’ennuyait parce que cela m’ennuie de me recopier. Je tremble lorsque je songe que Wauters a recopié six fois pour des amateurs, en réduction, un Hugo Van der Goës sans en changer un iota. C’est effrayant. J’ai donc recopié « l’attrapage » mais j’y ai fait beaucoup de changements. J’adore refaire les mêmes sujets en les transformant tout à fait. Mais recopier m’est horripilant. – Gouzien a vendu les deux « Attrapages » & n’a plus chez lui qu’un « Soir aux
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Folies Bergères » & une Tentation de St Antoine. Et encore je crois qu’il est en marché avec un amateur enragé de mes dessins Mr d’Astorg qui habite je crois habituellement Nice & quelques mois Paris.
Mr Ashbée de Londres est venu me voir & m’a demandé plusieurs choses, je lui ai dit que j’étais tenu jusqu’en mai 1877 mais que je lui ferais de jolies choses pendant l’Été.
Même réponse à Mr d’Astorg qui m’avait écrit. Je serai débordé de grands travaux pendant cet été. Je compte faire de grandes choses comme l’attrapage & comme la Saisie pendant l’été dès que j’aurai mon atelier & je ne peux y entrer qu’en mai. Ici je ne peux faire poser que pour de petites choses, Je n’ai pas d’espace. C’est ce qui m’a empêché de faire le dessin de « la Bécat ». Je ne peux me remuer & je ne peux placer qu’un modèle & même difficilement. Toutes les études de tes dessins sont faites heureusement : Bretonnes & Bretons, Hollandais & Canotiers. Les deux premiers que tu recevras & que je vais reprendre sont : Le Scandale (vieilles Hollandaises) dont je t’ai parlé et « Deux Canotiers ».
puis viendront les autres & rapidement. Le 1er mai tout sera fini, tu auras ton compte de dessins. – J’ai adopté comme je te l’ai dit un même format celui du Graphic ce qui est plus simple. Si je n’ai pu remplir mes engagements plus tôt c’est que « il y a eu force majeure » Mon docteur avec lequel nous dînerons un jour t’édifieras à cet égard. Il ne veut pas même que « je regarde un dessin maintenant. Ce n’est donc que fin de ce mois que je pourrai t’adresser ces deux dessins mais tu les recevras sans faute, ou j’y crèverai, mais je n’y creverai pas.
– À propos des eaux-fortes tu m’obligeras en laissant tout à fait intacte la collection que je t’ai envoyée pour plusieurs raisons dont la meilleure est celle-ci. Je ne pourrais pas remplacer ces épreuves. Elles sont cataloguées dans le catalogue de ma collection (dont tu n’as là qu’une partie. le reste étant en Belgique chez moi) Je tiens donc à ce que tu n’en distraies aucune épreuve.
Quant à te donner les épreuves promises, je tiendrai
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complétement ma promesse rassure-toi. – Les épreuves ne s’envoleront pas & moi non plus. Je t’ai dit que la plupart de ces épreuves étaient en Belgique à Bruxelles & que les plaques en question & j’en ai beaucoup plus encore que tu ne le crois, sont (comme on pose toujours les plaques) au fond des malles qui contiennent mon outillage d’eau-forte. Tu comprends que je ne vais pas avant mon démenagement définitif défaire tout cela ! J’ai même refusé à Cadart de lui faire cette année une eau-forte pour son album à cause de cela, je ne veux pas me donner l’ennui d’aller dans le grenier où j’ai été remiser mon mobilier, farfouiller dans un pandemonium semblable. Ce serait même presqu’impossible de bouger une caisse sans faire tout crouler, ou sans déballer tout sur le carré. Donc si je vais, ce qui est presque certain à Bruxelles en janvier, je te donnerai déja quelques épreuves, nous compterons alors celles que tu as reçues & nous compléterons.
Quant à l’Enterrement au Pays Wallon je t’envoie par Mr Lechat ton épreuve, à une condition c’est que l’été prochain tu me la prêteras pour achever le dessin qui est à Bruxelles & dont j’ai le placement.
Mais il n’y a jamais eu d’épreuve ni de lithographie de la Procession au Pays Wallon !!! Il y a eu
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Je croyais bien t’avoir proposé en bloc l’achat des tous mes paysages de Suède, C’est inouï, – je l’aurai rêvé !! – Les plus mauvais – quinze des plus mauvais lui ont été vendus par moi à Cernuschi un italien brocanteur – ne pas confondre avec le grand Cernuschi. C’étaient de Simples études sur toile volante & il ne les a pas payées cher. – Presque toutes marines. J’en ai une trentaine encore les meilleures, Cernuschi est revenu pour les prendre, je l’ai flanqué a la porte parce que lors du marché, (j’avais eu besoin d’argent simplement) il avait refusé de m’en donner 100 frs pièce. – Il m’a offert ce prix la & j’ai eu le courage de refuser ces 3,000 frs parce qu’il n’avait pas voulu me donner
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d’emblée ce prix là. – Rentoilées ces études font et feront de jolis tableaux fort amusants, C’est plein de petits personnages – pêcheurs, bateaux &c &c & il parait qu’à Londres, cela trouve son public, même ici. Je regrette maintenant de ne pas avoir lâché cela à Cernuschi. Ces canailles là au fond vous font un public. Cernuschi a acheté ces quinze études en mars 1877, il y a un an & il m’a dit n’en avoir plus une seule. Je te montrerai cela un jour ou l’autre. Il y a des choses prises sur nature – (toujours !) & bien vibrantes. Mais il faut que je fasse rentoiler tout cela. Qui sait ? Nous pourrons peut être créer une affaire – mais en bloc – car je ne veux pas naturellement laisser « choisir » quelques études Avant tout je veux faire rentoiler moi même. –
Quant aux dessins des Canotiers du Monsieur & une Dame etc, je ne veux te les montrer que travaillés & non pas dans leur état d’atelier dans lequel je laisse dormir les choses & je te l’ai dit ma santé avant tout pour le moment. –
N’oublie pas mes eaux-fortes. – j’en ai absolument besoin –
Si tu en as encore besoin je te les renverrai, ce n’est pas une affaire.
À t
F
Détails
Support
2 feuillets, 6 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir, Crayon Gris.
Copyright
Photographie Vincent Everarts