Numéro d'édition: 3092
Lettre de Félicien Rops à [Maurice Bonvoisin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23

Destinataire
Maurice Bonvoisin
1849/05/26 - 1912/03/27
Lieu de rédaction
Paris, 17 Rue Mosnier
Date
1877/09/23
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
Bon/LE/34
Collationnage
Scan
Date de fin
1877/09/23
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops
Page 1 Recto : 1
23 7bre 1877
17 Rue Mosnier
Mon Cher Maurice
Merci de ta bonne & affectueuse lettre, elle m’a fait grand plaisir je t’assure, j’y réponds tout de suite. J’ai énormément souffert & je souffre encore, seulement les accès deviennent de plus en plus rares. Étrange maladie vraiment & qui m’inquiétais fort & m’inquiète encore fortement. J’ai vu, chez moi, le commencement de l’affection de Baudelaire & cela avait certainement de l’analogie. Cela a débuté par des rougeurs dans le cou qui eussent pu faire croire à un érysipèle, puis des battements réguliers & deja douloureux, alors des douleurs lancinantes, enfin des accès presque réguliers qui m’ôtaient presque toute connaissance. C’était atroce. – Je craignais, et le docteur aussi, soit un transport au cerveau, soit une fièvre cérébrale. Enfin personne ne sait au fond ce que c’est. voilà le vrai. Est ce un rhumatisme à la tête causé par un bain froid pris en transpiration ? est ce un prodrôme de maladie de la moëlle épinière ? est-ce une insolation se manifestant d’une façon anormale ? ou plus grave encore, un commencement de « méningite diffuse » ??? On n’en a rien su & si cela se guérit (ce que j’espère bien !) on n’en saura probablement rien ! – Je n’ai fait ni une ni deux, du reste Mon Cher Maurice, & j’ai pris un fiacre qui s’est arrêté à la porte de l’hôpital Necker où je suis entré. Je te dis cela à toi en ami, & il est inutile de le dire ; – je connais les susceptibilités bourgeoises & les idées fausses que l’on peut avoir. – Si je te dis cela d’ailleurs Mon Cher Maurice c’est pour te montrer combien était sérieuse & grave cette singulière affection. J’oubliais de te dire que j’avais été d’abord au grand Hôtel, & c’est de là que je suis allé à Necker. Filleau – mon docteur, m’avait d’abord conseillé de me
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faire reconduire chez moi à Thozée où se trouvaient ma femme & mon fils. Je m’y suis refusé par une nuance de sentiment que tu comprendras – Je peux revenir chez moi bien portant, mais revenir malade pour « s’y faire soigner » je ne le voulais pas « à aucun prix ». Le docteur Filleau m’a alors parlé de Necker & de son directeur qu’il connaissait & qui aime les artistes : le docteur Laboulbène. La première impression du mot : hôpital » une fois passée on en prend son parti & le fiacre susdit. – J’y suis resté 17 jours ! 17 jours !! – & 17 nuits ! Longues ! les nuits & mélancoliques ! On songe à l’enfance, aux bobos que guérissait la mère aux bons lits, au luxe doux qui vous entourait, & aux frères & aux sœurs que l’on a jamais eus & que l’on voudraient bien avoir ! – J’ai été bien soigné d’ailleurs & j’avais pour domestique un ancien marin, convalescent qui m’a raconté des choses drôles entre mes accès. – « Jours d’hôpital » cela ferait un bon titre à ces racontars si l’hopital ne doit jamais revenir, car comme les mauvaises nuits, les mauvais jours ne sont racontables que si l’on sait qu’ils sont passés « pour de bon » comme l’on dit la bàs. – Cela va bien, tu vois que j’écris, les idées sont nettes, la main marche cahin caha, mais elle marchera bien sous peu beaucoup mieux.
Tout cela prouve combien il est dangereux d’etre homme ! dit Fontenelle – lequel d’ailleurs a vécu quatre vingt ans.
Au milieu de ces traverses, les dessins ne se font pas & c’est toi qui pâtit de mes maux ! – Il y a là vis à vis de moi trois dessins commencés & je « n’ose » pas encore y toucher pour les achever. J’ai peu parlé de ma maladie excepté à Émile Hermant pour le consulter aussi, – peut être saura-t il le fin mot de cette fantastique douleur. Il vient ici dans quelques jours & je l’attends avec impatience.
Dès que je serai sur pied c’est a dire avec le crayon bien en main, & l’esprit bien ouvert sur les choses crées, je t’accable de dessins. La buveuse d’absinthe tout à fait inédite est ébauchée, La dame au Pantin aussi & elle
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bien amusante. – Nous ne sommes pas encore morts & le « cy-gyst Félician Rops tailleur d’imaiges » ne sera pas j’espère gravé avant que je ne m’acquitte vaillamment envers toi. Je vais, si je vais très bien passer quelques jours en Belgique avec ma famille au Rond Point de l’Avenue Louise. Je t’écrirai.
Je vais t’envoyer – enfin ! – purement & simplement les quelques eaux-fortes que j’ai ici à moi.
À toi & à bientôt.
Ton vieux
Félicien
Je ne retournerai que vers le 15 à Douarnenez, j’attends Émile ici, mais n’importe quelques jours de côtes de Bretagne me feront grand bien.
Si tu as toujours l’intention de venir à Paris – je pourrais à de bonnes & avantageuses conditions pour toi te louer la moitié de l’hôtel que l’on me bâtit & qui sera charmant. Tu serais chez toi entrée particulière dans ta maison comme en Belgique. Moi j’occuperais avec entrée particulière le dessus & l’atelier. Nous reparlerons de cela. Je te préfèrerais naturellement à un autre locataire.
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
Photographie Vincent Everarts