Numéro d'édition: 3475
Lettre de Félicien Rops
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Lieu de rédaction
Paris
Date
1885/02/04
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
CPEL/12
Date de fin
1885/02/04
Lieu de conservation
Collection privée
Aucune image
Page 1 Recto : 1
Paris 4 fév 1885
Mon Vieux,
« Quoi de neuf ? » Comme je l’avais prévu la bonne Doucé ne donne plus signe de vie, hein ? – Tâche de m’avoir son adresse, te prie, afin que je lui sale les fesses, – de bonnes fesses d’ailleurs ! – Tant que cette excellente grue n’aura pas lâché sa tête de veau de Lalouette, elle ne fera rien qui vaille. Enfin, Tâche d’avoir l’adresse ! Je suis dans une période de flanerie énorme. Ces premiers beaux jours de Paris sont exquis & portent à cela. Puis on a patiné avec de belles dames ! De la glace avec un grand soleil, tu vois quel bois de Boulogne cela faisait ! Enfin il va falloir se remettre au travail, sans cela on en perdrait l’habitude.
Rien de nouveau avec Edmond ?? Il ne m’a plus donné signe de vie. – À propos de Belges, j’en ai vu un d’un bon tonneau : c’est Armand Lynen. Cet animal là
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m’a apporté ses « Frères de la bonne Trogne » (Pas mal, du mouvement, un bon sentiment flamand, pas très bien dessiné & un peu « canaille » parfois, mais il ne faut pas demander à un marollien l’exquisité de Watteau, cela ne fleurit pas rue Haute ; ) – ce brave garçon me raconte ses déboires & les trimballements de son portefeuille, je lui donne une lettre de recommandation pour Monnier 16 rue des Vosges, je lui dis d’en venir prendre d’autres pour Uzanne Lemerre, Franzine etc, je voulais le faire dîner avec Uzanne, je passe trois heures à lui préparer ces lettres pour qu’il n’attende pas, – il ne donne plus signe de vie & ne reparaît plus !! – Que faire avec des mufles de cet acabit ! – Ah le « fond de muffle !! » – Cependant je l’avais reçu comme un vieux frère cet animal là ! – et je me proposais de le faire dîner avec Uzanne & Prunaire. – Au moment où je t’écris ceci, on frappe à ma porte & c’est la trogne Brawerdeuse de Lynen qui paraît !! Il est encore ici !! Il a rodaillé avec son cartable. Ma mauvaise humeur ne tient pas vis à vis de l’allure à la fois défiante, inexpérimentée, cocasse ahurie de ce fils de Bruxelles en Brabant qui m’a l’air de s’être beaucoup promené entre les pots. Enfin je vais tâcher de lui être utile ! Mais c’est difficile. Il ne paie pas de mine & il a l’air de proposer des dessins comme il proposerait une aune de boudin.
– Et toi quand Hymènes-tu ? – Dis-moi un peu de Bruxelles. Toute la Jeune Belgique à la queue leu leu derrière Camille Lemonnier & venant chauffer « l’Hystérique » a été une des gaietés du mois. Camille Lemonnier est admirable de « rempli » d’importance, de gloire satisfaite & arrivée, de rutilance ! On ne raconte pas cela, il fallait voir. On a été voir en chœur les célébrités & les lieux célèbres, Barbey, le Chat Noir la librairie Charpentier & le Musée Anthropologique. – Lemonnier expliquait aux Jeunes. – Uzanne a eu leur visite. – Le livre de Lemonnier n’est pas mal d’ailleurs, quoique fait avec « tout le monde » littéralement.
– Je m’installe aux Hauts-Vignons. Cela sera bien, – dans un an. En attendant c’est « la ruine » en son beau. – J’ai retrouvé, en fer rouillé, les armes de l’abbaye, des ceps de vigne d’un côté, une lune, mîtres d’abbé au dessus. Tout est brisé & indéchiffrable. Cela a dû être
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détaché d’une muraille. – Il y a du logement dans tout cela, mais un rude travail à faire ! Des chambres du haut la vue des tournants de la Seine est un enchantement. Enfin je crois que « tout cela » est ce qu’il me fallait. Mais avant un an, on n’y verra guère quelque chose. Cela t’amusera de visiter cette cocasserie. – J’ai fait – enfin bail, avec promesse de vente, les locataires sont partis, ne laissant que le silence dans la petite Ruine. Quand nous sommes entrés cela était lugubre, il va falloir faire grimper des plantes & des fleurs sur toutes ces murailles : c’est ma partie, heureusement. Certainement il fallait un être dans notre genre pour désirer habiter ce pigeonnier. Seulement je sens qu’une fois là je ne pourrai plus quitter ce coin, & j’ai toujours eu cette impression là, c’est pour cela que j’ai apporté à terminer cette affaire un entêtement extraordinaire. Je suis très heureux que la chose soit faite. Mais cela a été dur ! – Je crois bien que c’est le coin où l’on finit ses jours. Il est temps de se caser, mes premiers cheveux blancs, les fleurs du Père Lachaise ornent ma tempe.
Fini de rire comme dit Gavarni ! –
À toi ma Vieille & à bientôt.
Fély
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