Paris Lundi
Mon Cher Monsieur
Tel que vous me voyez je suis en train de faire une forte malle. Un éditeur Américain d’extraordinairement de goût m’enlève à la vieille Europe, pour aller là bas dessiner : «l’Amérique Étrange» un fort livre aussi, qui paraîtra en 1889 – si le diable me prête vie.
L’Éditeur est arrivé chez moi hier, tout cela s’est décidé aujourd’hui, & après demain Le transatlantique La Bretagne m’emportera à New Yorck. De New-Yorck nous gagnons Chicago, de Chicago le lac Huron Du Lac Huron ???? Voilà. J’espère revenir tatoué. Je me ferai peindre la croix de l’ordre « Léopold sur le Grand Trocanteur, ‒ pour les dames & pour faire plaisir à Wauters, peintre du Roÿ. – Sérieusement ce voyage n’est qu’une tournée d’exploration. Je vais « voir ce qu’il y a à faire » voilà tout. Je repartirais en mai pour le vrai grand voyage & pour aller dessiner tout cela jusqu’à l’Alaska, avec un gros tas de littérateurs Yankees. Je reviendrai de ce voyage-ci en Janvier, fin Décembre, peut-être plus tôt si je ne suis pas mangé par les crevettes.
Donc je pourrai très probablement collaborer à votre Almanach, au moins pour un croquis !
En attendant Cher Monsieur, je vous envoie mes affectueuses Salutations & transmettez une vieille poignée de main à tous mes bons amis de là bas je vous prie.
Félicien Rops.
Commentaire de collaboration
Le projet éditorial Strange America ou L’étrange Amérique apparait dans cette lettre. La commande émane d’un éditeur américain, un certain Carter. Le livre est prévu pour l’année 1889.
Rops prévoit de prendre Le transatlantique La Bretagne pour aller à New-York puis Chicago. La Bretagne est l’un des paquebots de la Compagnie générale transatlantique, dernier d’une série de quatre navires-jumeaux : La Champagne, La Bourgogne et La Gascogne. Ils sont tous mis en service en 1886. La Bretagne entre en service le 14 août 1886 sur la ligne le Havre-New-York. Pour l’anecdote, la traversée prend environ 8 jours, le bateau effectuant un aller-retour par mois. Le 28 octobre 1886, il embarque la délégation française pour l’inauguration de la Statue de la liberté d’Auguste Bartholdi (1834-1904) et Gustave Eiffel (1832-1923).Il prévoit de rentrer en décembre 1887 voire en janvier 1888.