Numéro d'édition: 3376
Lettre de Félicien Rops
Texte copié
N° d'inventaire
CPA/5
Lieu de conservation
Collection privée
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Mon Vieux,
Voilà bien longtemps que je dois t’écrire mais toutes sortes de choses m’en ont empêché : Déménagements, voyages rapides & improvisés, travaux nombreux, sans interruption, les dessins succédant aux dessins, les frontispices aux frontispices, une production perpétuelle & sans trêve voilà mon lot. Je vis dans les affres d’un enfantement continu. Et cela « en faisant de mon mieux, ce qui n’est guère, avec des progrès parfois des arrêts dans l’exécution du progrès réel parfois des progrès réels parfois, de rares & maigres de bien rares contentements de soi, par contre des doutes des souffrances, des angoisses, des colères, des chûtes, des désespérances, toutes les cordes cassées de la Lyre, & toutes les herbes mauvaises herbes de la St Jean mitonnant dans le creuset ! Tu me demandes si j’ai lu les deux volumes des lettres de Flaubert. Lus & relus ! Pas toniques ces lettres pour la plupart ces deux volumes. Lettres de malade, souvent. Cet homme était hanté par un idéal de forme qui devait le mener à Bouvard & Pécuchet un livre mort-né et bossu mort né & bossu comme naissent les fœtus sur lesquels trop coïté mâle les mâles ont « continué » à pendant la ge ont trop travaillé pendant la gestation : Bonnes (ont usé » maximes les vieilles ! – ne forçons point notre talent, ‒ Le mieux est l’ennemi du bien. Un âne a beau aller à La Mecque me disait l’agha de Biskra il n’en rapportera pas six pattes ! Sancho n’eut pas mieux dit et je suis certain que son père : Miguel Cervantès n’avait pas songé à écrire à faire un chef d’œuvre en écrivant Don Quichotte, qui en est un cependant, un vrai. Flaubert. Il ne faut pas conclure d’un défaut, propre ou impropre à un écrivain la difficulté de rendre sa pensée, que tous les écrivains doivent admirer ce défaut, & à ceux qui l’ont, t’en tirer vanité. C’est une bizarre manière de raisonner, & aussi niaise naïve que si l’on disait : Mr Renan a le nez très gros, c’est un écrivain de mérite, moi aussi j’ai le nez très gros, donc je dois m’en congratuler. Il serait de meilleur bon sens de dire : Mr Renan a le nez gros ce n’est pas joli, donc je vais tâcher d’amincir le mien ! D’abord il n’est pas prouvé comme le dit que lorsqu’on est resté une semaine sur deux adjectifs les adjectifs en soient meilleurs. Théophile Gautier dit Bergerat dans un excellent article paru dernièrement dans le Gil Blas, à ce propos, dit écrivait à dix-huit ans en quelques mois, Melle de Maupin que lui Flaubert proclamait quelques mois peu de temps avant sa mort, comme langue, un admirable chef-d’œuvre. Bergerat disant encore qu’il venait de traverser cette Normandie de C qu’aimait tant Gustave Flaubert & que là sans se donner trop de peine les pommiers portaient des pommes « naturellement » comme les hommes de génie produisent des chefs d’œuvre » Bergerat a raison, s’ils réfléchissaient longuement les bons pommiers, ils avant de porter les pommes, nous n’en boirions pas le cidre pétillant dans nos grands verres & ils ne porteraient jamais que de fruits secs.
Voilà le vrai. Avant Bergerat, je t’ai prêché, & harangué & parabolé « sur le pommier » avec moins de succès d’ailleurs que St François prêchant aux poissons. Les poissons avaient peut-être raison mais ils ne se piquaient point de lettres littérature et au fond il faut un peu être de l’avis des moujick qui disait à Tolstoï lequel s’exhortait à la tempérance. Voyez vous petit père, moi cela m’amuse de boire & vous de me prêcher si j’avais le malheur de me corriger nous n’aurions plus de plaisir ni l’un ni l’autre.
Et qui sait ? J’ai Peut-être de tout Flaubert l’avenir venu, ne restera-t-il que cette belle & héroïque & touchante correspondance grand cœur de l’homme s’est bat à chaque ligne & où l’on sent vibrer le naïf amour de ce pauvre grand homme pour un médiocre bas-bleu, où il n’a pas songé à faire dire à un verbe plus qu’un honnête verbe ne peut dire, où il a laissé parler à la diable son esprit ses sensations, rapidement transcrites au hasard des voyages, sur le dos de sa malle, dans un coin de mauvaise chambre sur un bout de papier, sans songer au « chef d’œuvre » qui comme le chien de J. de Nivelles, ne vient jamais quand on l’appelle !
Et puis la gloire ?
Moi aussi J’ai passé par le « chemin des Mappales, j’ai grimpé avec mon amartis des jeunes artistes & de de très jeunes littérateurs de la nouvelle génération. À part moi personne ne songeait à Flaubert. Quant à la montagne de Plomb Pottin l’épicier de Paris y fait planter des pins d’Alep !
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