Lettre de Félicien Rops à [Paul Théodore Joseph Rops]

Page 1 Recto : 1

je n’ai encore aujourdhui que le temps de te dire un petit mot que j’avais oublié de te dire à propos de l’envoi de rosiers.

Il y a là dans le panier expédié six rosiers. Fais les mettre en pots avec du terreau, fais en prendre une manne chez le jardinier de Scry s’il n’y en a pas à Thozée, place les pots dans la Serre, donne leur un bon arrosement d’abord, puis laisse les en repos & ne les arrose que quand leur terre sera sèche. En février il donneront signe de végétation nouvelle tu les mettras en place avec du terreau & en les couvrant de feuilles sèches pour leur éviter les gelées printannières.

Voici leur noms & leurs places :

2 pieds de Louise Odier

fleur rose pâle centre carminé

rosier presque grimpant peut être placé contre une muraille, au pied de la tour du coté de l’étang par exemple

1 pied de Gloire de Dijon, rosier grimpant jaune saumoné. peut être placé entre les deux précédents.

1 pied de Souvenir de la Malmaison

fleur blanc rose

Nous l’avons eu à Thozée il fleurit jusqu’aux gelées. Il n’aime pas le vent, à

Page 1 Verso : 2

placer au grand jour à gauche de l’habitation dans le jardin d’en haut (coté du fuschia vivace.) dans un emplacement protégé par l’habitation

Un pied d’Aimé Vibert grimpant fleurs en corymbe, blanches à placer contre une muraille. Nous l’avons eu aussi c’était le rosier pleureur qui était contre l’habitation.

Un pied de Sylphide, c’est un Bengale mais un Bengale extraordinaire qui planté en bon terrain donne des tiges de deux mêtres & des bouquets de fleurs jusqu’aux gelées.

Voilà mes petites notes d’horticulteur À demain les affaires plus sérieuses. Au printemps je t’enverrai de belles plantes pour notre vieux Thozée. Je veux te donner le goût des fleurs cela m’a beaucoup consolé en mes solitudes. J’allais « voir » au Jardin des Plantes, les fleurs que nous avions cultivées ensemble, à Thozée au bon temps de ta première jeunesse, & il me semblait retrouver des amies qui me parlaient de vous.

Écris moi à ton retour de Bruxelles. Je vous enverrai un melon d’Espagne, dans quelques jours. Il en arrive ici en Novembre. Je n’ai pu vous envoyer les journaux, étant resté dans mon petit trou de Bièvres, mais je vais en envoyer tous les deux jours à Thozée.

Page 1 Verso : 3

cela vous aidera à passer les soirées au coin du feu. J’enverrai aussi à ta mère des livres nouveaux. Il en paraît peu de bons d’ailleurs. Tu me ferais plaisir en faisant faire par le bon Strauwens une petite caisse & d’y mettre la bergerie de Charles Jacques, j’en ai grand besoin. Tu recevras en échange une petite peinture faite à Heyst avec ta mère & que j’ai toujours gardée en souvenir de vous, puis quelques études de cette époque. Maintenant que je vous ai retrouvés, je peux me passer de ces souvenirs qui m’étaient & me sont encore chers. Tout ce qui me faisait vivre avec vous, acquérait à mes yeux un prix d’affection. J’ai de vieilles boites de maman que je ne donnerais pas pour des émaux du Japon. Il faut vivre seul pour connaitre le prix des Souvenirs. L’heure triste l’heure dure des déseulés c’est le soir, lorsqu’à l’heure du dîner tout le monde vous quitte & va retrouver les siens. Alors les paroles d’Hariri le poète arabe me revenaient à l’esprit : « Heureux celui, qui le soir venu rentre sous son toit & s’asseoit au milieu des siens ». Et le restaurant sale de la demi pauvreté d’ici m’en paraissait plus lugubrement désolé. Enfin, tout cela est loin puisque je peux vous voir & que grâce à mon travail des jours meilleurs vont venir pour vous & pour moi je l’espère. En attendant j’ai encore eu de vilains coups de bât, ce mois ci, espérons

Page 1 Recto : 4

que ce seront les derniers.