Numéro d'édition: 3314
Lettre de Félicien Rops à [Paul Théodore Joseph Rops]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Paul Théodore Joseph Rops
1858/11/07 - 1928/09/10
Lieu de rédaction
s.l.
Date
1875/06/17
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
FFR/LE/7
Collationnage
Scan
Date de fin
1875/06/17
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Fonds Félicien Rops
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Le 17 juin 1875
Tu comprends Cher fils bien aimé que si je ne t’ai pas écrit le lendemain de ma fête comme je te l’avais dit c’est qu’une raison très grave m’en a empêché. – J’ai failli avoir une fête plus triste encore qu’elle ne l’a été. En traversant le quai Voltaire, comme je sortais du bureau de poste où je venais de porter ta lettre, j’ai entendu des gens qui appelaient et criaient : « qu’un enfant venait de tomber à l’eau », j’ai couru vers l’escalier du pont en ôtant mon paletot. J’avais une manche à moitié otée & je regardais un omnibus qui arrivait sur moi pour m’en garer, lorsque tout à coup j’ai reçu une violente secousse dans le dos et j’ai été jeté à sept ou huit pas, en avant, entre deux voitures lancées au grand trot. C’était un cheval attelé à une voiture que l’on n’avait pu arrêter et qui venait de me heurter du poitrail, – heureusement, car ce heurt a été si violent que cela m’a mis du coup hors portée des roues. Malheureusement un autre cheval m’a marché en plein sur la main et sur le bras que j’ai eu la force de retirer au moment où cette seconde voiture allait me l’écraser et la troisième m’a effleuré le pied. Enfin j’ai été un moment tout à fait renversé au milieu des chevaux et des voitures et l’agent de police qui m’a relevé avec un des cochers m’a dit qu’il m’avait cru broyé. Heureusement encore on repêchait l’enfant pendant ce temps là. – Je t’avouerai Cher fils que je suis bien moins courageux que je ne le croyais et qu’en voyant ma pauvre main droite dont j’ai si besoin, toute violette, gonflée et pleine de sang, les larmes m’ont sauté des yeux malgré
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le monde qui m’entourait. Je ne te donne pas cela comme un exemple à suivre, car l’on doit être plus courageux dans les accidents qui peuvent vous arriver ; mais j’avais eu de vives contrariétés depuis plusieurs jours et ce dernier coup du sort, – pour ma fête, – me paraissait de trop. Puis je croyais avoir le poignet cassé tellement la douleur y était vive, – je souffrais de partout, du bras & des jambes, j’avais la peau du coude & des genoux arrachée jusqu’à l’os, mes vêtements déchirés, enfin j’étais dans un triste état. Je me suis fait conduire chez mon médecin le docteur Filliot qui m’a rassuré, m’a pansé et n’avait de crainte que pour le doigt médium de la main droite qui était bien mal arrangé, le bord du fer du cheval s’était appuyé particulièrement sur lui et une compresse d’arnica même posée légèrement me causait de très vives douleurs.. Tu vois que maintenant il est sauvé puisque je t’écris. – Tout cela m’a donné de grosses fièvres et je suis resté cinq nuits sans dormir. – J’ai heureusement une portière qui est une bonne femme et qui m’a soigné aussi bien qu’elle le pouvait, car je suis seul ici depuis le départ de Mr Malassis, & je ne pouvais avoir recours à personne. Enfin tout va bien ou du moins va mieux maintenant, mais un malheur ne vient jamais seul et j’ai maintenant le pied pris par une « artrite-goutteuse » qui me fait beaucoup souffrir ou plutôt qui me gêne beaucoup car la douleur est plutôt sourde que violente. – Demain j’achèverai ma lettre, cher fils bien-aimé j’ai bien des choses encore à te dire relativement à ta conduite et à ta santé. J’ai été heureux d’apprendre que vous faisiez des excursions souvent, ta mère et toi.
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Elle a besoin, elle aussi d’affermir sa santé et le premier des remèdes pour vous deux c’est le grand air. Soigne bien ta mère & sois pour elle obéissant et soumis, ce que je suis certain que tu es d’ailleurs car te voilà maintenant presqu’un homme.
Je reprendrai ma lettre demain j’ai la main fatiguée et ce vilain doigt ne veut plus avancer. C’est toujours la plus mauvaise roue du char qui crie dit un proverbe, – c’est vrai, – c’est le doigt qui a été déjà presqu’estropié par un panaris qui est encore atteint cette fois. Il n’a pas de chance.
À demain Je t’embrasse de tout cœur à grands bras – embrasse bien ta mère pour moi.
Ton père qui t’aime
Félicien Rops
J’ai peut être espoir de ne pas devoir partir si les démarches que l’on fait pour moi près de Mr Jouaust aboutissent. Je resterais de cette façon plus près de vous deux. – Ce serait pour moi une bien grande satisfaction.
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
206 x 265 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir. En-tête: S.I.A..
Copyright
Photographie Vincent Everarts