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Paris Samedi Juillet 1894.
Cher fils bien-aimé,
je n’ai pu hier t’écrire qu’un bout de mot, je n’avais qu’une minute pour te dire de réclamer à la gare de Namur tes objets de peinture. Je les avais expédiés à Namur, parce que l’on m’avait assuré que là, aurait lieu la visite douanière, & que j’avais peur des trifouillements de douaniers dans cette caisse. Je voudrais comme tu le comprends, te voir à Bruxelles, je n’ai pas le temps d’aller à Thozée, j’espère pouvoir y aller dans quelques mois, je suis pour l’instant dans une vilaine, et même très vilaine passe de santé, – j’ai les jambes gonflées, le coeur très pris, et il faut toute l’importance de la Cérémonie de Decoster, pour me faire bouger dans ce moment du traitement très sévère que je suis ici. J’ai vu « un prince de la science » et cela ne m’avance guère ! – La Cérémonie de Coster n’a pas d’importance pour toi, mais Anvers en a, [barré]. Ne t’occupe pas des frais, j’ai quelques fonds disponibles, peu, mais assez pour toi et moi, Cela te fera du bien au point de vue pictural.
– Je serai à l’hôtel du Grand Miroir, sinon Hôtel Central ou Continental, je ne sais plus le nom, mais c’est le grand Hôtel qui
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est situé vers le milieu du Boulevard qui va vers l’église ancienne des Augustins & sur lequel se trouve la Bourse. Je ne connais plus Bruxelles décidément ! Enfin dans tous les cas si tu me trouvais difficilement et si j’étais forcé de descendre dans un hôtel où je n’ai pas l’habitude de descendre, va à la poste, il y aura un mot pour toi : poste restante.
Je t’embrasse bien Cher fils et je t’aime Ton vieux père et fais mes bonnes amitiés à ta mère.
Félicien
Je t’avais cependant écrit que j’adressais ton colis, en gare de Namur ?
Commentaire de collaboration
La cérémonie dont Rops parle dans sa lettre est celle de l'inauguration du « monument De Coster » le 22 juillet 1894. Il s’agit d’un bronze du sculpteur Charles Samuel (1862-1938) représentant un Ulenspiegel mélancolique, une main posée sur ses armes, l’autre sur le genou de sa compagne, Nele, qui l’enveloppe tendrement de ses bras. Le couple est assis dans une niche néo renaissance dont les colonnes soutiennent un fronton cintré.
En granit et marbre, la composition est décorée d’éléments rappelant les intérieurs populaires traditionnels tels qu’on les voit dans les tableaux des vieux maîtres flamands : une crémaillère, un rouet, une quenouille, un chat et un chien. Les derniers mots prononcés par le héros dans La Légende président à la construction d’ensemble : « … Est-ce qu’on enterre Ulenspiegel, l’esprit / Nele, le cœur de la mère Flandre … ». Seuls un médaillon en marbre arborant son portrait et une inscription où figurent son nom, ses dates de naissance et de décès, indiquent que Charles de Coster (1827-1879) est mis à l'honneur sur le monument.