Lettre lue par...

Vinciane Lemen, comédienne et réalisatrice belge

Vinciane Lemen, comédienne et réalisatrice belge

Lettre de Félicien Rops à Octave [Uzanne]. Tatra-Fured, 1885/08/00. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, III/1802/11

Page 1 Recto : 1

Excuse moi Mon Cher Octave, de ne t’avoir pas encore écrit, mais je suis malade depuis mon départ & écœuré de cette tournée où la sottise & le ridicule luttent en étalage. On n’a pas idée de la bêtise d’êtres comme Ulbach, Coppée, Mario Proth, Lermina etc etc. Mauvais voyage. Je suis malade depuis mon départ & à peu près borgne par dessus le marché ! Je t’écris d’un œil l’autre est sous des bandages avec des collyres. Potsi a été particulièrement complaisant & gracieux en ces ennuis. Si je pouvais avoir mon billet de retour il y a trois jours que je serais à Paris, mais par une exagération de gracieuseté je n’aurai ce billet qu’à mon retour à Budapest le 19 ! Les Hongrois ont voulu nous garder

Page 1 Verso : 2

jusqu’au bout & nous imposer leur amabilité officielle jusqu’à la lie.

Je dis lie pour moi : liesse pour les autres ! – Ce qui peut vous plaire ou vous déplaire dépend de la situation d’esprit où l’on se trouve. – Où ma femme ne voyait qu’un départ de plaisir il y avait un départ de nécessité. Tu sais que je ne suis pas un geigneur pour toute question matérielle, cependant Mon Cher Vieux frérot, je trouve presque terrible à mon âge d’être obligé de me courber devant des êtres comme Conquet, et quelquefois moins !! – J’ai peu voyagé depuis 6 ans & pour cause. – Je ne me plains pas, je constate, j’étais heureux & le bonheur borne les horizons. On le retrécit à l’ombre de la femme que l’on aime. Je voyais dans ce voyage fait sans dépense aucune l’occasion de pénétrer dans un monde d’amateurs riches, sans bassesses, & sans avances, ce que je ne sais faire que très maladroitement ou pas du tout. C’est ce qui est arrivé même presque malgré moi car j’ai été peu aimable ! – et malade par dessus le marché !!. Mais si

Écris moi : Hotel de la Reine d’Angleterre à Budapest (Hongrie)

Page 1 Verso : 3

c’était à refaire je ne partirais pas :

« Le Chagrin monte en croupe & galope avec vous »

Léontine je le sens a été attristée de mon départ & fort attristée. – Elle se remettait à peine du coup qu’elle avait reçu. – Que veux-tu Mon Cher Octave, je ne peux pas être heureux ni joyeux si les miens ne le sont pas ! J’aime ma femme, j’ai ce ridicule rare & je le garde. Jamais les femmes ne comprendront que tout en les aimant uniquement, notre organisation, notre organisme peut nous faire subir des accidents, illogiques, ridicules, que l’on cache & que l’on subit après, pour ne pas porter atteinte à ses vrais bonheurs. Je suis désespéré de tout cela & j’ai le moral très atteint. Cela changera. J’espère toujours. Mais je me démoralise. Je ne vois rien ! si les bonheurs passés reviennent, nous referons ce voyage avec ma femme car ce que j’en vois à travers mes noirs ennuis me paraît bien beau ! mais « mes yeux » sont restés là bàs.

Si tu vois les chers êtres de « ma maison » dis que tu as reçu de mes nouvelles rien de plus, ne lis pas

Page 1 Recto : 4

pas ma lettre à ma femme, – elle pourrait croire, la Chère, que je l’ai écrite exprès pour cela. Elle en est là. Je t’ennuie Mon Vieil Octave, mais que veux-tu, n’en ayant pas, je n’ai pas de plaisirs à te raconter & je te dis ma situation d’esprit, tant pis pour toi. Cette situation d’esprit si elle ne s’améliore pas se gâtera, & j’aurai peut être à invoquer ton amitié plus tristement encore. – Mais l’espoir dans le bonheur est comme les fleurs d’edelweiss que j’ai envoyé à ma femme, on a beau l’arracher cela repousse toujours !

À bientôt Cher Octave, le plus vite possible ou à très longtemps si le moral ne va pas mieux.

Ton vieux fidele : Fély

Ce n’est pas à Gouzien que je peux dire tout cela hein ?