Lettre lue par...

Nota Bene, alias Benjamin Brillaud, vidéaste web et vulgarisateur français

Lettre de Félicien Rops à [Henri] Liesse. [Paris], 1887/11/18. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, II/7033/18 et II/7033/19

Page 1 Recto : 1

Mon Cher Vieux,

Je viens « d’échouer » à peu près, sur les côtes de France. Mauvaise traversée, très mauvaise, – nous avons été « roulés » depuis le départ jusqu’à l’arrivée. Mais spectacle superbe où la hauteur de Terre-Neuve : Un brick désemparé par une mer démontée qui nous est apparu un instant comme dans un rêve, & a disparu dans les vapeurs grises. C’est très beau quand on le voit « de vrai » – et pas au théatre !

On voyagerait pour voir « en vrai » les choses imaginées ou peintes. Je vais aller à Buenos-Ayres en avril. Avant cela je vais en Belgique pour vous serrer la main à tous, & à toi en particulier. Uzanne m’accompagnera, très probablement. Il vient de finir trois livres, dans lesquels il y a des choses tout à fait remarquables. Moi, j’ai fait avant de partir un frontispice pour les poésies de Mallarmé qui me paraît une œuvre passable. Il a obtenu ici beaucoup de succès, parmi les artistes, qui tous m’en parlent. – Et toi Mon Cher Liesse, que fais-tu ? Et quels sont, – enfin –

Page 1 Verso : 2

tes espoirs nouveaux, ou tes espoirs anciens ? Qu’attends-tu ? – Et que peux-tu gagner à attendre ? Si ton livre n’est pas fini, il n’a aucune raison de l’être plus demain !! Alors à quoi bon l’avoir fait ? – Je m’y perds !

As-tu écrit à ton oncle & à MmeBoucart ? – Dis moi un mot de tout cela, vite, & écris LISIBLEMENT !!!! – Paris est amusant ; en revenant de là bas on sent mieux combien tout ici est raffiné & vibrant. Un nouveau romancier & de grand talent : Rosny, qui est presqu’Anglais, & qui a publié deux livres coup sur coup.

Je n’ai lu que « les Corneilles » à New-York chez un ami de labàs. C’est très personnel, & d’un genre d’emotion nouveau. J’ai dîné avec l’auteur, hier, au « dîner de la Banlieue », (c’est un dîner comme les bons Cosaques). Homme marié de 35 ans ou 30 ans. S’est marié en Angleterre. Parle Anglais comme Sir Charles Dilke. Très instruit. Sait un peu beaucoup de tout. Personnage des plus intéressants ; un peu le lien du jour dans notre monde artistico-littéraire & potinier. – Tu vois qu’en trois jours me voici redevenu parisien. Ah c’est que labàs on apprend l’emploi du temps ! Ah ! que cette école eut été profitable pour toi ! – Tu agis comme si nous avions cinq cents ans à vivre, & tu ne t’en inquiète pas ! Et Mme La Mort ! – ! Tu l’oublies la Camarde ! Elle frappe à la porte.

Page 2 Recto : 3

Je vais donc vite aller embrasser Paul labàs en Belgique, causer un instant avec toi, aller baiser ta main, & ce que je pourrai, à quelques vieilles Madames aimables qui doivent encore se rappeler de moi, peut être, & revenir ici au travail ! Il faut que pendant cet hiver je produise un tas de choses qui sont en portefeuille, mais les portefeuilles, c’est la mort de l’exécution, comme « les cahiers de notes ! » Il faut liquider son passé vite !

– « Au temps où je croyais encore aux notes écrites….. »

Voilà comment Paul Bourget commence une de ses nouvelles, et je commence moi aussi, à trouver que les croquis et les notes enfouies jouent le rôle des fleurs enfermées dans les livres. Cela n’a plus ni couleur ni parfum, quand on veut s’en servir ! Cela ne sert qu’à se leurrer.

– Bonne amitiés à Joanne & à Kufferath. – Merci à lui pour la note de l’Indépendance.

À Bientôt & bonnes amitiés de tous.

Fély

Ah ! que j’aurais vu avec joie ton nom s’étalant aux vitrines des librairies sur une couverture jaune ! Ce plaisir sera réservé à mes petits neveux !! Naïf, je t’ai cherché !! Ah ! tu seras amusant à raconter plus tard !

Page 2 Verso : 4

N.B !! Nota Bene !!

« Les Idées quand on ne s’en sert pas s’en vont dans d’autres Cerveaux.

Un Sage.