Copie non autographe de Félicien Rops à [Jacques?] [Pradelle?]. s.l., 0000/00/00. Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, 8812/t6/p130
Page 130
« Pour faire qui vaille, si peu que cela soit, il faut que je m’enferme avec le modèle, que je sois seul avec mes défaillances, mes peurs de cette sacré cochonne de Nature qui me flanque le trac comme si j’étais un débutant. Et cela à chaque séance !
Quand ma poseuse me fait dire qu’elle ne peut venir, je pousse un : Ah ! de soulagement ! c’est à me prendre en pitié. Comme je le disais il y a peu de jours, à Mirabeau : Je me fais l’effet d’un être singulier qui aurait été engrossé par le diable ; je sens toutes sortes de monstres sabatter en moi, et de gré ou de force, il faudra bien que cette pensée isse à la vie ou je crèverai, je vous le dis. – Je n’ai, jusqu’à présent, rien fichu de bon, voilà le vrai. » Je ne sais, du reste, peindre qu’entièrement d’après nature. Je tâche tout bêtement et tout simplement de rendre ce que je sens avec mes nerfs et ce que je vois avec mes yeux ; c’est là toute ma théorie artistique, et je tâche de la mettre en pratique, ce que je trouve déjà diablement difficile pour moi.
Je n’ai pas encore de talent, j’en aurai peut-être à force de volonté et de patience.
J’ai encore un autre entêtement, c’est celui de vouloir peindre des scènes et des types de ce dix-neuvième siècle que je trouve très curieux et très intéressant ; les femmes y sont aussi belles qu’à n’importe quelle époque, les hommes sont toujours les mêmes : ce n’est pas la perruque de Louis XIV qui fait les comédies de Molières. De plus, l’amour des jouissances brutales, les préoccupations d’argent, les intérêts mesquins ont collé sur la plupart des faces de nos contemporains un masque sinistre où « l’instinct de la perversité » dont parle Edgard Poë, se lit en lettres majuscules ; tout cela me semble assez caractérisé pour que les aristes de bonne volonté tâchent de rendre la physionomie de leur temps.
Je dessinerai avec le même bonheur les grands yeux maquillés des Parisiennes et la chair bénie et plantureuse de mes sœurs de Flandre.
